Dans l’inconscient collectif, on a fini par associer un « bon » bébé à un enfant qui dort bien. On connait tous l’expression « dormir comme un bébé ». C'est un peu comme si on avait cristallisé la croyance qu’un enfant qui va bien, et qui surtout est bien accompagné grâce à des parents avec des interventions adéquates, est un enfant qui fait de longues nuits calmes.
Combien de fois j’ai vu grimacer les médecins lorsque la question des réveils nocturnes est évoquée. Comme si cela était dysfonctionnel et qu’il fallait réagir dans les plus brefs délais pour éviter le pire. Et voir les visages pleins de culpabilité des parents, perdus de ne pas pouvoir répondre la « bonne réponse » et s’en vouloir de leur manque de compétences : pourquoi MON enfant ne dort pas?
C’est un sujet des plus tabous, le sommeil des enfants. Et il est très fréquent que cette question réveille blessures et conflits. Il échappe à bon nombre d’entre nous que le sommeil est une acquisition physiologique et non comportementale. Avec les méthodes d’apprentissage au sommeil, mais aussi l’observation des différentes cultures et contextes générationnels, on confond les données. L’enfant marchera quand il est prêt et il dormira avec des cycles qui ressemblent aux nôtres quand il aura la maturité pour le faire.
Il n’y a pas plus loin que deux générations, les enfants n’étaient même pas nourris la nuit et s’ils pleuraient, on fermait simplement la porte… On est loin de ces références aujourd’hui, mais il reste des stigmates et croyances fortes venant des entourages et de la société en général.
La notion de sommeil est très subjective et les enfants n’ont tout simplement pas les mêmes cycles que nous. Cela ne veut pas dire qu’ils dorment mal ou qu’ils ne vont pas bien. On demande aux enfants de suivre des cycles culturels, car en occident on dort de cette manière mais dans bien des pays le sommeil n’a pas les mêmes balises et nos ancêtres non plus ne dormaient pas comme nous. Une longue période pour être plus actif en journée et mieux travailler. Tout cela est pensé de manière stratégique. Autrefois, on faisait des rondes, on nourrissait le feu, on veillait le danger. Bref, on ne dormait pas comme aujourd’hui. L'enfant, lui, est en apprentissage quand son instinct et sa nature sont débalancés par la culture.
Le sommeil serait un peu comme le premier rapport de force que le parent devrait instaurer à l’enfant pour lui montrer qui est le chef et comment régenter l’organisation familiale : « Tu dors quand c’est le moment que je choisis et je ne réponds à tes besoins uniquement lorsque je suis disposé à le faire. » Forcément cela renvoie un parent très en contrôle qui ne se laissera pas marcher sur les pieds, un parent qui maitrise la situation et rassurant pour les autres. Le parent chef et l’enfant soumis à l’obéissance. Un peu comme si être parent la nuit était une condition instaurée, plutôt qu’une nécessité.
Évidemment, quand on devient parent, nous sommes en dualité entre déconstruire le discours qu’on a toujours entendu, prendre en considération nos propres nouvelles valeurs et concilier le tout avec notre fatigue et l’assimilation de notre nouveau rôle. C’est une réelle prise de conscience de prendre en considération les croyances, les attentes et les besoins. Il est difficile de faire le tri entre tout ce qui est dit, écrit, la surinformation, nos perceptions individuelles et nos ressentis. On voudrait que nos enfants aillent bien et comme le sommeil semble être un point capital de leur santé, nous accroissons notre vigilance. Mais aussi, nous avons besoin que nos enfants dorment pour nous retrouver, nous ressourcer et nous reposer. Quand on focalise sur les longues nuits, on a tendance à oublier que les bébés dorment peu et qu’il leur faut du temps pour fonctionner comme nous aimerions.
Les enfants font leurs nuits, ils ne font pas les nôtres. Si l'on avait tout un village pour prendre soin d’eux, on arrêterait de se sentir si isolés et si seuls face à cet énorme défi d’être parent malgré l’immense fatigue subie.