Tantôt attendrissante, tantôt surprenante, parfois même choquante. Quand on désire un enfant, qu’il soit blanc, noir, jaune, rouge ou bleu nous importe peu. Il arrive toutefois que certaines personnes se butent à des réactions qui vont jeter une ombre sur le tableau de leur projet. J’ai déjà vu des couples ressortir en pleurant d’une visite chez leur famille où l’annonce de la décision d’adopter venait d’être faite. J’ai vu des gens se faire dire d’y penser à deux fois, qu’ils devraient « dépenser leur argent autrement », qu’ils devraient au moins essayer de s’en faire un (enfant) eux-mêmes avant d’aller en chercher un ailleurs, qu’on ne sait pas quel genre d’enfant leur sera confié. Et s’il était malade? Et s’il amenait son lot de problèmes? Et s’il avait un caractère difficile? Et si… J’ai même vu des femmes se faire offrir par une autre personne dans la famille d’être le géniteur du bébé si son conjoint n’y arrivait pas lui-même! Bien sûr, c’est blessant, bien sûr, c’est humiliant de recevoir en plein visage ce genre de réactions.
Il faut parfois du temps
Avec l’impression de se retrouver devant un fait « presque accompli », certains sautent de joie alors que d’autres peuvent se montrer indifférents, surpris, déçus et parfois même décourageants. Pour certains, le lien de sang est plus important que tout. C’est souvent une question de temps et de tenir des discussions honnêtes sur le sujet. Il y a de flagrantes maladresses, mais, souvent, derrière les problèmes d’acceptation, il y a la peur. La peur de l’inconnu, la peur de ce qui pourrait se produire, de ce qui pourrait ne pas se produire. Il est important que tout un chacun se permette de nommer ce qu’ils vivent afin de crever l’abcès. Accepter la résistance qu’on pourrait percevoir dans les réactions de certaines personnes que nous aimons, leur laisser le temps. Il faut comprendre que si les parents ont muri ce projet pendant des mois, voir des années, l’entourage quant à lui n’est parfois informé que lorsque la décision formelle a été prise.
Le bon moment!
Pour notre part, nos familles étaient folles de joie à l’annonce de notre projet d’adopter un enfant à l’international. On se doutait bien que cette annonce allait faire des heureux. Nos parents, comme beaucoup d’autres parents, se font un honneur d’accueillir un petit nouveau dans la famille, peu importe son origine ethnique ou son caractère. Un enfant c’est un enfant! Je me souviens de la réaction de mon père qui clamait haut et fort qu’il serait le grand-père d’une petite princesse asiatique. Ma mère avait tellement hâte de la voir, de la tenir dans ses bras. Pour elle, c’est un peu une forme de miracle que de pouvoir se rendre à l’autre bout du monde et revenir avec un tout petit être qui fera maintenant partie de notre famille. Inévitablement, on se faisait parler de ce qu’ils avaient vu dans « Annie et ses hommes ». On est de ceux qui ont adopté pas mal en même temps que le couple principal de cette émission télévisée, qui adoptait alors une petite fille originaire de la Chine. À travers les épisodes, nos proches ont compris l’importance de laisser du temps à l’enfant. Ça nous a sauvé beaucoup de discussions et d’explications en fait et ça nous faisait sourire. À l’aéroport, à notre retour du Vietnam, on a vu dans le regard de nos familles qui s’étaient déplacées pour nous accueillir, qu’ils étaient touchés et déjà amoureux fou de cette toute petite fille aux yeux bridés qui se demandait bien où elle se trouvait.
Au quotidien
Une fois de retour à la maison, le quotidien revient lui aussi. La vie reprend tout doucement son court. On est maintenant une nouvelle famille ou une famille un peu plus nombreuse. Le voisinage est de plus en plus au courant de l’arrivée de ce petit enfant venu de très loin. Ça m’étonne toujours de voir à quel point les gens sont curieux de voir, de poser des questions et même de toucher l’enfant. Qu’on fasse une promenade à poussette dans les rues avoisinantes, qu’on aille au parc ou au centre d’achat c’est souvent du pareil au même. Quand on voit une maman avec un petit bébé, à la base les gens trouvent ça mignon. On vous sourit beaucoup plus, des regards pleins de tendresse sont posés sur vous. Puis quand les gens voient que le petit bébé en question est d’une autre origine, on a droit à des réactions parfois surprenantes. Certains deviennent mal à l’aise et nous regardent d’un air un peu triste, comme si on nous prenait en pitié. Je me suis déjà fait dire « ah madame, je suis tellement désolée que vous ne puissiez avoir d’enfant… » « Mais j’en ai un enfant! » que je lui ai répondu. La dame a viré les talons, visiblement mal à l’aise.
Au début, on prend ça personnel puis on finit par en rire. La plupart des réactions auxquelles j’assiste sont cependant plus positives, mais tout autant surprenantes. Les gens viennent voir ma fille, la touchent, lui parlent (parfois avec insistance pour qu’elle leur dise bonjour ou je ne sais quoi). Ils deviennent vite familiers avec ma fille. Souvent, on me demande s’ils peuvent la prendre ou l’embrasser. Je dois alors leur expliquer ce que je trouve logique : elle ne vous connait pas après tout. Elle est une enfant du monde, mais n’est pas « une enfant de tout le monde » pour autant.
Les autres
Dans une salle d’attente de pédiatrie, si nous sommes quatre mamans avec nos bébés respectifs, c’est souvent vers l’enfant adopté que les regards se tournent, les sourires et les compliments se font. Ah le charme de la différence! Cette différence qui attire certains, qui repoussent les autres. Comme cette maman qui a refusé que sa petite fille d’à peine trois ans s’approche de ma fille, prétextant qu’« elles sont fragiles ». La pauvre maman s’est même excusée du fait que sa fille ait pu faire peur à la mienne. Que c’est triste de priver les enfants de contacts si naturels! Et, en même temps, on sème les premières petites graines de doute et de peur qui germeront peut-être en intolérance ou en racisme.
Toute leur vie, nos enfants seront témoins de réactions mitigées. C’est pourquoi il est important d’en discuter avec eux et les outiller à faire face aux réactions qui pourraient les blesser. J’ai beaucoup souri en lisant certains passages du livre « L’enfant adopté dans le monde en quinze chapitres et demi » du Dr. Jean-François Chicoine, sommité en adoption internationale et réputé pour « ne pas avoir la langue dans sa poche ». J’ai assisté à une de ses conférences où il parlait également de comment nous pouvons préparer l’enfant à faire face aux commentaires déplacés. Voici un exemple donné lors d’une de ses conférences, qui m’avait bien fait rire.
Une fillette qui réagissait mal aux commentaires des gens au sujet de son adoption avait été rencontrée par Dr Chicoine. Ce dernier en avait discuté avec elle et lui avait donné des outils pour répliquer aux gens qui passent des remarques blessantes. Un jour, une dame apostropha la fillette qui était alors accompagnée de sa mère et lui a dit quelque chose du genre (je ne m’en souviens pas exactement mot pour mot) : « Est-ce que tu as connu ta vraie maman? » Loin de se laisser déstabiliser, la fillette a regardé la dame et lui a demandé : « Et vous madame, est-ce que ce sont vos vrais seins? ». Comme quoi, dans la vie, l’utilisation de l’humour peut désamorcer tellement de bombes prêtes à exploser!