En tant qu’infirmière en pédiatrie depuis plus de 30 ans, mère et spécialiste en clinique de sommeil, j’ai très souvent l’occasion d’être témoin de situations difficiles.
Quand rien ne va plus la nuit, les parents ont besoin d’agir rapidement… pour leur santé physique et mentale. Les parents épuisés peuvent se sentir incompétents et risquent de devenir impatients. De plus, des études démontrent qu’ils ne développent pas un aussi bon lien d’attachement avec leur enfant que s’ils étaient reposés.
Un parent souffrant et en manque de sommeil a besoin d’une solution rapide et voudrait une « pilule miracle » si elle existait.
Les attentes
Aucun parent ne devrait s’attendre à ce qu’un nourrisson puisse dormir toute la nuit dès la naissance… même s’il y a toujours des exceptions. Boire est un besoin physiologique fondamental au cours des premiers mois de vie. De plus, avant l’âge de 4 -5 mois, le cerveau n’est pas prêt, n’a pas assez de maturité pour gérer l’organisation des phases de sommeil. C’est souvent vers 3 mois qu’apparaissent les premières nuits de 6-7 heures, que le bébé saute un boire. C’est le moment où votre enfant vous montre ce dont il est « capable ». De plus, il n’est pas rare de noter une régression vers 4-5 mois; le bébé se réveille pour sa sucette, veut plus de boires (malgré la poussée de croissance terminée) : c’est un indice que des problèmes d’associations ou de mauvaises habitudes sont en train de s’installer. C’est un bon moment pour agir!
Les bébés aux besoins intenses
Au cours des dernières années, on a souvent identifié le cas de bébés « aux besoins intenses ». Ce sont des nourrissons qui pleurent beaucoup, sont souvent dans les bras de leurs parents, boivent fréquemment, ne font que de courtes siestes – la plupart du temps dans les bras et, par le fait même, qui dorment mal la nuit. Mon expérience comme infirmière me fait questionner sur la condition physique de ces bébés. Les malaises qu’ils vivent peuvent être dus à diverses causes : reflux gastro-œsophagien, allergies, intolérance au lait, etc. De telles causes entravent la possibilité de développer de bons rythmes de sommeil. Le reflux gastro-œsophagien n’est pas toujours aisément identifiable, mais l’expérience nous apprend que ces nourrissons auraient avantage à ne pas boire la nuit pour réduire leurs malaises.
Les solutions
Plusieurs ouvrages traitent de méthodes pour régler les problèmes de sommeil. Certains sont plus directifs que d’autres et peuvent être aidants, car un parent en manque de sommeil a besoin de solutions rapides et efficaces… Si le bébé doit pleurer, il est mieux que ce soit le moins longtemps possible.
La méthode sevrage parental, ou méthode du 5-10-15, décrite dans les années 1960 par le Dr Richard Ferber, a fait ses preuves au fil des ans. Il est certain que cette méthode n’est pas applicable à tous les enfants, mais peut être fort utile chez une majorité. De plus, il est possible d’ajuster cette méthode selon notre capacité. Le parent qui comprend le principe de base de la technique, c’est-à-dire que l’enfant doit s’endormir initialement sans mauvaises associations, peut en adapter les grandes lignes selon son jugement.
De prime abord, cette méthode implique que le bébé pleurera. Mais soyons clairs, laisser pleurer ne veut pas dire ne pas aller le voir, le laisser enfermé ou l’abandonner! Pour le nourrisson, pleurer est une façon de s’exprimer et de montrer son mécontentement. N’est-ce pas la première étape pour lui montrer comment se consoler par lui-même et apprendre à ne pas toujours dépendre de ses parents? C’est une manière de lui dire : non, ce n’est pas de cette façon qu’on doit s’endormir, il en existe d’autres… Finalement, c’est un peu comme lui montrer à marcher : lorsqu‘il tombe, on le console, on l’aide à se relever, on lui laisse la main sachant qu’il va probablement retomber, mais c’est une première expérience vers son autonomie. Il doit l’apprendre par lui-même; on ne peut le faire à sa place.
Ce que disent les études
Des études récentes ont démontré que les enfants qu’on a laissé pleurer en appliquant la méthode de sevrage parental, ou méthode du 5-10-15, n’ont pas plus de problèmes d’attachement ou d’anxiété à 5 ans que les autres qui n’ont pas pleuré ou qui ont fait du cododo. De plus, cette même étude a démontré que plus on apprend à bien dormir jeune, moins on a de problèmes de sommeil en vieillissant.
Le cododo : pour ou contre?
Le partage du lit est de plus en plus pratiqué dans notre société et demeure une habitude courante dans la plupart des cultures non industrialisées. Au cours des premiers mois de vie du nourrisson, le cododo est souvent considéré comme une solution pratique qui favorise le succès de l’allaitement. En Amérique du Nord, les enfants dorment en général dans leur propre lit, ce qui, selon certains auteurs, pourrait favoriser la capacité de l’enfant à apprendre à se séparer du parent et à se percevoir comme un individu indépendant.
Qu’en est-il de la sécurité de cette approche?
La question fait l’objet d’un débat entre spécialistes. Certains déconseillent le « cododo », d’autres, au contraire, conseillent aux parents de le pratiquer.
Citons quelques exemples : la ligue La leche préconise le cododo pour favoriser l’allaitement et son succès. La Société canadienne de pédiatrie, quant à elle, prend position pour la sécurité du bébé et ne veut pas le promouvoir sans s’y opposer complètement. L’Agence de la santé publique du Canada a publié une brochure faisant la promotion d’un environnement sécuritaire et afin de réduire les risques de mort subite du nourrisson.
Ma recommandation de spécialiste
À mon avis, et à la suite de mes échanges avec de nombreux parents au cours des années, le parent doit faire des choix selon ses valeurs en tenant compte de certaines lignes directrices. Si vous souhaitez pratiquer le cododo avec votre enfant, il est important de suivre certaines règles de sécurité.
Selon des données probantes, il est clairement démontré que pour réduire les risques de mort subite du nourrisson (MSN), certains points sont essentiels pour préserver un sommeil sécuritaire :
- Dormir sur le dos sur une surface plane (les pieds au fond de son lit) réduit les risques de MSN. Depuis que cette pratique s’est généralisée dans les années 90, les cas de mort subite du nourrisson ont diminué de 70 %.
- Le partage de la chambre réduit le risque de MSN et est conseillé jusqu’à 6 mois (selon la Société canadienne de pédiatrie) ou jusqu’à ce qu‘il se tourne sur le ventre de lui-même, le pic de décès étant entre deux et six mois.
- L’utilisation d’un matelas mou, d’oreillers et de couvertures qui peuvent couvrir la tête accroît le risque de décès par étouffement dans tous les environnements de sommeil. Ces objets augmentent le risque de suffocation et peuvent nuire à la circulation de l’air. Certains médecins croient qu’une mauvaise circulation d’air est un facteur qui pourrait contribuer au MSN.
- Vous pouvez couvrir votre bébé d’une gigoteuse, mais ne le mettez pas sous la couette pour éviter les étouffements et lui permettre de garder une température corporelle adéquate. Pour ce faire, la température de la chambre doit être sous les 20 degrés, permettant aussi de diminuer le développement des infections des voies respiratoires. Les coussins contours devraient être retirés, car ils peuvent diminuer l’aération.
- Les bébés allaités sont moins touchés par ce syndrome, en plus d’être mieux protégés contre plusieurs maladies. Des données montrent que l’allaitement peut aider à réduire le risque de MSN. On ne sait pas exactement pourquoi, mais des médecins croient que le lait maternel pourrait protéger les nourrissons contre certaines infections qui accroissent le risque de MSN (ce n’est pas nécessairement le fait que l’allaitement ait lieu la nuit qui protège du risque de MSN).
- Le risque de MSN augmente lorsque le nourrisson partage le lit avec sa mère fumeuse. Exposer les enfants à la fumée secondaire pendant les premiers mois de leur vie est également un facteur de risque très important.
- Le partage du lit avec un adulte extrêmement fatigué ou ayant pris de l’alcool ou des médicaments pourrait altérer sa vigilance et sa capacité à se réveiller. Cela peut être dangereux pour le nourrisson.
- Un nourrisson est plus vulnérable à une MSN s’il partage son lit avec d’autres personnes que ses parents ou que la personne qui s’occupe habituellement de lui.
Qu’en est-il de l’intimité du couple?
Le cododo serait considéré comme un obstacle majeur à la reprise d’une vie intime au sein du couple et la transition vers le berceau de l’enfant peut s’avérer plus difficile, surtout lorsqu’à la naissance de bébé, papa se voit forcé de sortir du lit : en effet, il ne peut pas se reposer suffisamment puisqu’il se fait réveiller toute la nuit par des boires, les pleurs… et ce, pendant plusieurs mois.
De plus, si l’enfant reste des années à dormir avec ses parents, quelle sera sa réaction, à 5 ans, lorsque vous souhaiterez qu’il dorme dans son propre lit, dans sa propre chambre?
À mes yeux, il est important que le sommeil soit envisagé sous l’angle de la sécurité. Il est également important que tous les membres de la famille soient à l’aise avec la décision prise en ce sens; cela reste un choix personnel, de couple et de famille. Mais, si vous n’arrivez pas à dormir près de votre bébé à cause des petits bruits qu’il fait, installez son lit dans sa chambre. Ne culpabilisez pas : votre sommeil est tout aussi important que le sien.
Et si vous considérez des moyens pour aider votre bébé à apprendre à dormir seul, n’hésitez pas à consulter des spécialistes* qui vous aideront à traverser ce dur moment!
Bonne chance et dormez bien!
Sources
- Wikipédia, consulté le 26 mars 2014.
- Une pilule une petite granule : Syndrome de mort subite du nourrisson : émission du 22 mars.
- Naître et grandir - Mort subite du nourrisson et cododo, consulté le 26 mars 2014.
- Marie-Jeanne Duclos - Démystifier le sommeil du nourrisson
- La Presse – Le cododo augmente le risque de mort subite du nourrisson
*Evelyne Martello. Enfin je dors… et mes parents aussi. Montréal : Éditions du CHU Sainte-Justine, 2007.