Même si c’est plutôt le 21 mars que cette journée de sensibilisation a lieu au Québec, voici le témoignage saisissant, lucide et lumineux de Véronique Piquette, 30 ans.
Après une grossesse difficile qui l’a clouée au lit pendant sept mois, Véronique accouche, à 32 semaines, de son petit Milann. Mis à part certains ennuis de santé – jaunisse sévère, certaine mollesse du corps – l’enfant se porte relativement bien. La nouvelle famille, après une semaine passée à l’hôpital, retrouve son domicile, à Granby.
Ce n’est que deux mois plus tard que la trisomie fait son entrée officielle… et fracassante.
Un appel qu’on aurait aimé jamais recevoir
« Deux mois après la naissance de Milann, j’ai reçu un appel de l’hôpital. On m’a donné un rendez-vous avec la médecin qui faisait mon suivi de grossesse et on m’a précisé de venir accompagnée. En raccrochant, j’ai regardé le visage de mon fils et j’ai vu, pour la première fois, que quelque chose clochait.
Dans le bureau de la médecin, accompagnée de mon chum Daniel et de mon bébé, on nous a annoncé la nouvelle. Sans tact. Les résultats des prises de sang effectuées dans les jours suivant la naissance de Milann étaient clairs : présence d’un 3e chromosome à la 21e paire. Trisomie 21. Syndrome de Down. »
Un choc à absorber
« Je ne me souviens plus de tout ce qui s’est dit dans le bureau de la médecin ce jour-là. J’ai fait une sorte de black-out. Je me souviens que mon chum, lui, a sacré. On est ressortis de là avec une longue liste de suivis à mettre à l’agenda : généticien, cardiologue (parce que plus de 50 % des trisomiques ont des malformations cardiaques), etc.
Je n’avais pas la tête à ça parce que moi, en tant que nouvelle maman, j’étais déjà préoccupée par la prise de poids de mon bébé de 4 livres, que j’allaitais aux heures. Mon chum, lui, a arrêté de me parler. Son silence a duré trois mois. On dirait qu’après avoir pris soin de moi pendant toute la grossesse, cette nouvelle était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. C’était trop pour lui.
Annoncer la nouvelle à la famille et aux amis était trop pénible. Je n’étais pas prête à recevoir les réactions de l’entourage. Une sorte de honte m’habitait. Je ne voulais pas entendre parler de trisomie. J’avais besoin de m’encabaner dans une boule d’amour où la trisomie n’existait pas. Je ne voulais pas regarder mon fils comme un trisomique, je voulais encore simplement le voir en tant que mon fils. Je pense que je n’étais pas encore prête à me plonger dans cette peine-là. Du moins pas avant que mon chum puisse être là, disponible. »
Prendre confiance en soi
« Le choc passé, j’ai essayé de développer un sentiment d’appartenance à d’autres parents qui vivaient la même chose que moi, mais je ne me sentais pas à ma place dans les groupes de soutien. J’avais l’impression qu’on idéalisait la trisomie, comme si on devait être vraiment contents que cet enfant nous ait choisit. J’avais aussi l’impression qu’on comparait beaucoup les enfants entre eux.
C’est à partir de là que j’ai décidé de ne pas nous exclure de la « normalité ». Je me suis dit que si j’étais dépressive, je ne voudrais pas passer mon temps avec des dépressifs. Suivant ce raisonnement, j’ai fait un gros fuck you à la trisomie et j’ai décidé d’élever mon enfant selon mes propres valeurs, selon ce que je crois qui est bon pour lui. Je me suis aussi bâti une solide carapace pour faire face au regard des autres. »
Un enfant différent et attachant
« Aujourd’hui, Milann a 6 ans. On nous avait dit qu’il ne marcherait pas avant l’âge de 3 ans, mais j’ai commencé à courir après lui quand il avait 18 mois. Bien qu’il prononce quelques mots, il est essentiellement non verbal. Il n’est pas encore propre et ne fait pas ses nuits. Je me réveille encore toutes les 2-3 heures, chaque nuit, pour le calmer.
Il fréquente un CPE et fera son entrée à la maternelle l’année prochaine. Il fait aussi des cours de hip hop et de hockey. Contrairement à ce que j’avais toujours pensé, il ne ralentit pas le groupe. Je sous-estimais beaucoup ce que mon fils peut apporter aux autres. »
Des deuils à faire
« Oui, c’est frustrant de vivre avec un enfant différent. Je me demande toujours comment j’aurais été en tant que maman d’un enfant neurotypique. Ce n’est pas de lui que je doute, mais de moi. J’ai beaucoup de deuils à faire, notamment celui de l’enfant que j’aurais aimé avoir et des projets que j’avais pour lui.
J’ai également dû mettre ma carrière de côté pour être disponible pour mon enfant. Je travaille à temps partiel pour gérer la maisonnée, moi, la féministe avec son diplôme qui a toujours visé l’égalité. »
De perpétuels combats
« Mais au-delà des deuils et des frustrations, c’est toute la bullshit administrative qui me gruge mon énergie. Plus que mon enfant en tant que tel. Si je veux des services, il faut que je chiale et que je cogne à mille portes. Tout est compliqué, tout le temps. (N.D.L.R. Véronique s’est notamment battu pendant plusieurs mois pour avoir droit à l’allocation spéciale pour enfant lourdement handicapé. Un récit qui est relaté dans cet article du journal La Voix de l’Est.)
Je n’ai jamais de répit. J’ai entre 2 à 6 rendez-vous par semaine avec Milann. J’ai souvent l’impression d’être prise dans un engrenage qui m’empêcher d’être une maman, tout simplement, et de profiter des moments avec mon enfant. »
Faire face à l’avenir
Même s’il y a des chances que Milann meurt avant moi, c’est un scénario que je ne peux pas entrevoir. J’aimerais pouvoir profiter de sa condition pour m’épanouir. Avec mon chum, on se dit qu’on ne peut pas avoir vécu tout ça pour ne pas redonner au suivant. On veut utiliser toutes les émotions vécues pour grandir, pour faire du beau avec du gris. Je songe donc de plus en plus sérieusement à ouvrir une maison de répit pour accompagner des enfants en fin de vie. Ça me permettrait de travailler avec mon fils et ça serait rassurant pour moi de savoir que si je meurs avant lui, il pourra continuer à avoir une qualité de vie.
Écrit par Julie Chaumont, publication initiale mars 2018