Garderies

Ras-le bol d'une éducatrice

Dans le contexte du conflit qui oppose le gouvernement du Québec aux éducatrices de CPE affliées à la CSN, une directrice pédagogique et ancienne éducatrice partage avec nous l'importance qu'elle accorde à la survie du réseau des CPE.

Pour faire le point sur le conflit qui sévit dans le domaine des CPE, nous avons soumis une liste de questions à Carole Mondor, une directrice pédagogique et ancienne éducatrice de Brossard. Elle en a profité pour remettre les pendules à l'heure.

Quand j’ai lu les questions reçues de votre journaliste, Katry-Ann Beaudoin, je me suis installée devant mon écran avec la ferme intention d’y répondre de façon consciencieuse et rationnelle, mais je n’y arrive pas. Je ne peux faire abstraction des émotions qui m’habitent constamment depuis près d’un mois par rapport au grand bouleversement que vit notre réseau des centres de la petite enfance. Vous direz que j’aurais pu m’y préparer, car, dès l’élection du parti Libéral, nous savions pertinemment que notre réseau vivrait une grande période de turbulence, mais je n’aurais jamais pu croire que celle-ci serait empreinte de tant mépris.

Il y a un mois jour pour jour, avait lieu la semaine des services de garde du Québec qui avait comme thème cette année « Bonheur droit devant » et je peux affirmer haut et fort que l’émotion que j’ai vécue au cours de cette semaine était liée intimement à la fierté de faire partie, depuis plus de vingt ans, de ce réseau qui s’est bâti — et se bâtit toujours — à bout de bras depuis son émergence. Fière de vivre des moments aussi intenses auprès d’une équipe qui s’est totalement abandonnée, et ce, malgré le manque flagrant de reconnaissance de ce gouvernement, afin de faire vivre une semaine de festivités inoubliables aux soixante petits que notre installation reçoit quotidiennement. Je peux dire que j’en ai même oublié l’épée de Damoclès qui nous menace depuis l’arrivée au pouvoir de ce parti politique.

28Mais la réalité nous a vite rattrapée, car, dès le vendredi 3 juin, les éducatrices affiliées à la centrale syndicale CSN se sont retrouvées dans la rue pour faire valoir leurs droits à l’équité et, depuis ce jour, nous avons eu droit à une grande campagne de désinformation orchestrée, de toute évidence par les amis du parti.

Depuis trois semaines, jour après jour, je lis et j’écoute tout ce que les médias racontent au peuple québécois. Plusieurs articles et reportages sont sans nuances et ont comme ultime impact de salir l’image de ce réseau. Comment peut-on affirmer que les éducatrices ont raison de sortir dans la rue, alors que le message véhiculé par les médias est qu’elles sont payées 18.36 $ l’heure pour moucher des nez et changer des couches? Les articles que j’ai lus ne mentionnent aucunement qu’elles obtiennent 18.36 $ l’heure après avoir suivi une formation technique de trois ans et avoir cumulé plus dix ans d’expérience, et que, les enfants ont besoin de beaucoup plus que de se faire moucher le nez et changer de couches. Et que dire de ces gestionnaires qui ont, depuis la création des centres de la petite enfance en 1997, orchestré et supporté le développement de nombreuses places dans le réseau afin de répondre au besoin des familles québécoises, et ce, souvent transportées par leurs grandes convictions face à la petite enfance. Qu’elles sont payées 100 000 $! Foutaise…!! Je ne connais pas personnellement ces directrices à 100 000 $ et pourtant, j’en côtoie des directrices!

Reportons-nous en 1997 lorsque le parti Québécois, par le biais de Mme Marois, a instauré la politique familiale : je croyais, très naïvement, que la création des centres de la petite enfance était enfin l’aboutissement de la reconnaissance sociale du travail effectué auprès de la petite enfance. J’étais fière de faire partie d’un peuple qui faisait enfin des choix de société axés sur l’enfant et sa famille. Nous venions de gagner une autre des nombreuses batailles entreprises par des femmes pour d’autres femmes. Les garderies se sont transformées, à une vitesse vertigineuse, en centre de la petite enfance. Depuis ce jour, plusieurs autres réseaux tels que celui de la santé et des services sociaux se sont mis à observer ce qui se passait dans ces milieux de vie où évoluent des centaines de milliers d’enfants. Ils ont enfin compris qu’ensemble nous pouvions améliorer considérablement les conditions de vie de nos jeunes familles québécoises.

Avant la création des centres de la petite enfance, le personnel éducateur savait dépister les enfants qui avaient un développement différent, mais il avait très peu de crédibilité face aux autres réseaux. C’était comme si l’enfant naissait à cinq ans lorsqu’il entrait dans le réseau scolaire. Aujourd’hui, plusieurs partenariats sont nés dans le but de partager nos expertises réciproques et ainsi soutenir le développement des enfants qui ont des besoins particuliers. L’avènement des centres de la petite enfance a rendu public le travail acharné de ces femmes qui se font un honneur de défendre les droits des enfants. Défendre le droit à l’enfant de pouvoir vivre sa petite enfance dans un contexte social où la performance est une valeur sûre est une bataille de tous les jours. La famille québécoise a vécu de grandes transformations au cours des dernières décennies et il me semble que la création du réseau des centres de la petite enfance était ce qui pouvait arriver de mieux à ces jeunes parents.

Collectivement, parents et personnel éducateur peuvent contribuer harmonieusement au développement des enfants de notre société de demain et tout le monde sait qu’investir au niveau de la petite enfance est une économie sociale sûre. Comment se fait-il qu’aujourd’hui nous en sommes à voir des femmes démanteler un réseau aussi important, en invoquant le fait que le gouvernement n’a pas les moyens financiers de supporter ce réseau d’économie sociale. Il supporte, depuis son arrivée au pouvoir, le réseau des garderies privées, car cela demande moins d’investissement. Cela n’a surpris personne dans notre réseau, mais ce qui m’a le plus étonnée, c’est de constater jusqu’où les élus sont capables de démagogie pour atteindre leur but.

Mardi dernier, les deux quotidiens les plus lus ont fait leurs choux gras sur le dos des services de garde. En première page de l’un d’eux, j’ai pu lire le mot « gardiennes » pour ensuite constater que l’article relatait quelques cas d’éducatrices qui ont abusé du pouvoir d’autorité qu’elles exerçaient auprès des tout-petits. Pire encore, j’ai cru comprendre que les hautes autorités ordonnaient au gestionnaire des centres de la petite enfance de réintégrer ces éducatrices malgré les gestes reprochés. Et que dire de l’article de la Presse qui s’est acharné sur les plaintes reçues par différents ministères concernant les ratios non respectés, la nourriture en petite quantité et le manque d’hygiène des locaux sans toutefois mentionner que la grande majorité des plaintes concernaient le réseau privé des services de garde? Et que penser lorsque je constate que ce réseau privé a actuellement la faveur de ce gouvernement?

Je n’ai pas l’habitude de dénigrer publiquement le réseau privé au profit de mon réseau, mais cette semaine mes limites ont été atteintes. Et dire que je croyais que les journalistes étaient des professionnels de l’information! Je croyais que l’impartialité devait faire partie intégrante des caractéristiques d’un journaliste. Quelle déception!

Les émotions auxquelles je fais allusion au début de ce texte sont nombreuses. Colère face au démantèlement évident du réseau. Deuil face aux valeurs sociales délaissées qui avaient été mises de l’avant par l’ancien gouvernement. Déception face au manque de mobilisation de la part de la majorité des parents utilisateur.

Bref, les femmes qui évoluent dans ce réseau sont des battantes, c’est évident, sauf qu’elles n’auront jamais vécu une aussi grande bataille. Je souhaite à tous les enfants qui fréquentent notre réseau que celui-ci survive au passage de ces gens qui s’acharnent à démolir tous les programmes sociaux que nous avons mis des années à construire.

Carole Mondor
Directrice en installation de Brossard






Extraits de commentaires de nos lecteurs:
- Je suis une éducatrice dans un CPE depuis plus de huit ans et je suis tout à fait d'accords avec le propos de madame Mondor. Je peux vous dire que ça fait du bien de voir qu'il y a des gens qui croit encore au projet des CPE et aux valeurs qui y sont véhiculées. Être éducatrice n'est pas
seulement un métier ou un profession c'est aussi une affaire de coeur....

-Je n'aurais pas pu relater de façon plus juste ce qui est vécu dans le milieu des CPE. Étant moi-même éducatrice depuis 4 ans, je peux dire que j'ai plus d'une fois eu à faire face à des gens qui, ne connaissant aucunement la dynamique des CPE, se permettent de poser des jugements sur le réseau, sur les directrices et sur les éducatrices. Je croyais moi aussi que notre reconnaissance était chose faite, mais je constate que nous sommes presque revenus à la case départ. Alors il faut se relever les manches et continuer à se battre, pour les enfants...

-Je suis maman d'un enfant de 21/2 et bientôt d'un deuxième. Mon enfant va dans un CPE de la rive-sud que je trouve extraordinaire. Il apprend plein de choses et je suis en totale confiance avec eux. Je trouve malheureux qu'on manipule autant l'information au détriment du personnel éducatif des CPE en laissant croire qu'ils sont "gras dur" et qu'ils ne font que moucher des nez. Même si cela nous occasionne, en tant que parent, des inconvénients lorsque vient le temps de faire des moyens de pression, j'appuie les éducatrices dans leurs revendications et sait pertinemment qu'ils le font pour la passion de leur métier. Pour moi, la petite enfance est garante de l'avenir et aucun compromis ne devrait être fait à ce sujet. Ne devrait-il pas en être autrement? Nos enfants sont ce qu'il y a de plus précieux, ne les privons pas d'une petite enfance à leur juste valeur.


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