La dépression chez les enfants de trois ans n'est pas un état grincheux passager, mais une maladie grave.
Jusqu'à très récemment, « les gens ne prêtaient pas vraiment attention aux troubles dépressifs des moins de 6 ans. Ils ne pensaient pas que cela puisse arriver (...), les enfants de moins de 6 ans étant affectivement trop immatures pour éprouver cela », explique la principale auteure de l'étude, Joan Luby, psychiatre à l'Université de Washington.
On savait par des études antérieures que la dépression touchait à un moment ou un autre environ 2 % des enfants d'âge préscolaire, soit quelque 160 000 d'entre eux. Mais on ignorait si elle pouvait devenir chronique dès cet âge précoce.
L'équipe de Joan Luby a suivi pendant deux ans 200 enfants âgés de 3 à 6 ans, dont 75 chez lesquels avait été diagnostiquée une dépression sévère. Les sujets ont subi jusqu'à quatre examens de santé mentale. L'étude financée par les Instituts nationaux de santé mentale et publiée dans le numéro d'août des « Archives de psychiatrie générale » n'étudie pas le traitement de la dépression, qui est sujet à polémique dans le cas d'enfants aussi jeunes.
Parmi les enfants initialement déprimés, 64 % l'étaient toujours ou présentaient un épisode dépressif récurrent six mois plus tard, et 40 % connaissaient toujours des problèmes deux ans plus tard. Au total, près de 20 % présentaient une dépression persistante ou récurrente, au vu des résultats des quatre examens.
La dépression était plus fréquente chez les enfants dont les mères souffraient elles aussi de dépression ou d'un quelconque trouble de l'humeur, et chez ceux qui avaient subi un traumatisme, comme la mort d'un proche ou des violences corporelles ou sexuelles.
Au risque de surprendre les profanes, la notion de dépression chez des enfants cet âge est de mieux en mieux acceptée par les psychiatres. La dépression implique des changements biologiques dans le cerveau qui peuvent même toucher des enfants à la vie par ailleurs agréable, souligne le Dr Sharon Hirsch, psychiatre à l'Université de Chicago, et qui n'a pas participé à l'étude.
Le Dr Helen Egger, psychiatre de l'Université Duke et qui a elle aussi étudié la dépression de l'enfant, affirme qu'il est fréquent dans sa profession de s'occuper de patients déprimés qui consultent pour la première fois à l'adolescence. Leurs parents expliquent que les symptômes ont commencé très tôt dans l'enfance, mais qu'on leur a dit que « ça lui passerait en grandissant », ajoute-t-elle.
Les enfants d'âge préscolaire peuvent avoir des états d'âme et piquer des colères, mais ils retrouvent rapidement leur bonne humeur. En revanche, les enfants déprimés paraissent tristes même lorsqu'ils jouent, et leurs jeux peuvent avoir trait à la mort ou à d'autres sujets sinistres. Une perte d'appétit persistante, des troubles du sommeil et des colères fréquentes, notamment le fait de mordre, de donner des coups de pied et de frapper, sont les signes d'une possible dépression.
Le Dr Luby évoque un autre signe : quand la culpabilité persiste après un incident mineur. Par exemple, un enfant de 3 ans qui casse par mégarde un verre ne va pas arrêter de présenter des excuses à sa mère et s'en voudra pendant des jours et des jours.
La psychologue Lisa Cosgrove de l'Université du Massachusetts se montre quant à elle réticente à qualifier des enfants d'âge préscolaire de « dépressifs ». Elle souligne en effet que les outils diagnostiques d'évaluation des maladies mentales chez des enfants si jeunes ne sont pas aussi bien testés que ceux utilisés chez les adultes. Et d'ajouter que si le traitement est important pour les enfants malades, « il faut juste s'assurer que ces interventions ne sont pas compromises par des pressions de l'industrie pharmaceutique qui veut vendre ses produits ».
Pour Helen Egger, la psychothérapie devrait être le premier traitement proposé, avant les médicaments du type Prozac. De son côté, David Fassler, professeur de psychiatrie à l'Université du Vermont, souligne que la dépression est très rare chez les tout-petits, mais que sans traitement « elle peut avoir des conséquences néfastes et souvent durables sur le développement social et émotionnel de l'enfant ».