Surtout lorsque le plus vieux est né « différent » : prématuré, malade ou handicapé. Entre les probabilités que l’événement se reproduise, la gestion de la vie quotidienne et les questions fondamentales, comment s’y retrouver?
« Chéri, et si on faisait un petit frère ou une petite soeur à Lou? » Question badine et habituellement heureuse songez-vous? Quoi de plus merveilleux qu’une deuxième grossesse où les appréhensions sont moindres et l’inconnu apprivoisé? Malheureusement, cette fragile allégresse n’est pas toujours au rendez-vous. Lorsque la naissance précédente a été marquée par la « différence » — prématurité, maladies congénitales, handicaps, etc. —, le choix d’avoir ou non un deuxième enfant comporte des enjeux importants. Pour les parents, la confiance d’avoir nécessairement un bébé en parfaite santé n’est plus… Le risque étant bien présent, la décision prend alors des tournures de calcul mathématique, de gestion pratico-pratique et, naturellement, de profonds questionnements.
La valse des chiffres
« Comme vous n’êtes pas porteur de l’anomalie chromosomique, votre prochain enfant a 1 chance sur 100 d’être atteint de la même maladie génétique que votre aîné. Comparativement à 1 chance sur 6000 dans la population en générale ». Bonne ou mauvaise nouvelle? Difficile à dire. Pour un couple dont les enfants n’ont jamais été touchés par la maladie ou le handicap, la nouvelle serait alarmante. Mais pour ce couple qui redoutait ne plus pouvoir offrir une vie « normale », l’annonce peut s’avérer soulageante. Tout est une question de point de vue et de vécu. Car après une première naissance différente, ces parents savent à jamais que la maxime « ça n’arrive qu’aux autres » ne s’applique plus. La gestion des risques devient alors un élément central dans la prise de décision. Quitte ou double? La valse des chiffres peut vite devenir étourdissante et revêtir des airs de jeux de hasard. Mais lorsque l’enjeu est la naissance d’un enfant en bonne santé et le retour à une vie normale, la décision se prend rarement sur un coup de tête.
Prématurité |
Après une première naissance prématurée, les femmes courent 40 % plus de risque que la seconde naissance se termine aussi avant terme. Après deux grossesses prématurées, le risque augmente à 70 %.1 |
Autisme | Dans une famille comptant un enfant autisme, le risque de récurrence est d’environ 3 % (soit 50 fois plus que dans l’ensemble de la population). L’autisme survient de 3 à 4 fois plus souvent chez les garçons que chez les filles.2 |
Trisomie 21 | Dans 95 % des cas, le risque de récurrence de la trisomie 21 ne dépasse pas 1 %3. |
Anomalie du tube neural (ex. : spina-bifida) | Le risque de récurrence est de l’ordre de 2 à 3 % (soit un taux qui est 10 fois plus élevé que celui observé dans l’ensemble de la population).4 |
Fibrose kystique | Lorsque les 2 parents sont porteurs, les enfants ont 1 chance sur 4 d'avoir la maladie, 1 chance sur 2 d'être porteurs et 1 chance sur 4 d'être normaux. Les garçons et les filles courent un risque égal de contracter la fibrose kystique.5 |
Lorsque la vie déboule à 100 miles à l’heure
Évidemment, lorsque la famille est toujours dans l’œil du cyclone, déstabilisée par la maladie ou par un état encore innommé, la question d’avoir un deuxième enfant se pose rarement. En mode survie, le couple n’a guère le temps et l’énergie d’envisager un tel projet. Mais une fois la situation stabilisée, le désir peut ressurgir. Avoir ou non un autre enfant?
Pour certains, la gestion de la vie quotidienne suffit à clamer un distinct et définitif : NON! Comment ajouter un nouveau membre à la famille ayant des besoins, des désirs et des attentes qui lui sont propres lorsque l’on est abonné aux rendez-vous médicaux et aux thérapies comme d’autres le sont au théâtre? L’idée devient tout simplement inconcevable. Car la réalité de ces familles va bien au-delà de la course aux traitements et la recherche de spécialistes. Très souvent, l’univers familial tout entier tourne autour de l’enfant présentant des incapacités. La poursuite de son bien-être devient un véritable projet de vie. Passent alors au second plan les loisirs, les soirées entre amis et la vie de couple. Chacun se mobilise et morcelle temps et énergie afin de répondre aux nombreuses exigences liées à la condition de l’enfant.
S’enchaîne alors sur un rythme infernal le marathon des obligations : séances de réadaptation, suivis médicaux, recherche de subvention, formulaires à remplir, démarches avec les établissements, rencontres avec les intervenants, etc. Ouf! La cadence ne ralentit malheureusement pas durant les week-ends ou les vacances puisque ces parents doivent composer avec les soins physiques à donner quotidiennement à l’enfant (alimentation, toilette, déplacement, hygiène) et les exercices de stimulation. L’idée d’imposer ce rythme de vie à un autre enfant devient pour certains synonyme de cadeau mal intentionné. Pour se préserver et concentrer leur énergie sur l’aîné, ils font alors le choix de ne pas ajouter un nouveau membre à la famille, avec ou sans amertume.
Derrière le tumulte du quotidien : des questions et des peurs
Et pour plusieurs, au-delà des probabilités statistiques et de la gestion pratico-pratique du quotidien se terrent des peurs énormes et des questionnements que l’on souhaiterait éviter. Et si l’enfant à venir présentait les mêmes difficultés? Et si on devait choisir de poursuivre ou non la grossesse? Tiendrions-nous le coup? Avoir un deuxième enfant lorsque le premier présente des incapacités place les parents devant des réflexions bouleversantes qui touchent autant les véritables motivations à vouloir faire un bébé (est-ce pour les bonnes raisons, tentons-nous de réparer une première naissance heurtante?), que le rôle imposé au cadet (se sentira-t-il obligé de prendre soin de son frère ou sa sœur lorsque nous ne serons plus là?) ou la place accordée à chacun (l’aîné souffrira-t-il de voir son frère ou sa sœur le dépasser dans certaines sphères de vie? L’enfant en santé se sentira-t-il suffisamment considéré et aimé?)
Et derrière chaque décision, se cache une histoire. Une histoire bien personnelle — à la famille, aux individus mêmes — empreinte de coups durs et de craintes. Il n’y a qu’à écumer les récits de parent ayant vécu une première naissance « différente » pour comprendre l’ampleur du traumatisme à surmonter. « J’ai accouché de jumeaux à 26 semaines de grossesse. Là commence la valse des prématurés. Moi qui n’avais jamais été hospitalisée, je me sens emportée dans une spirale médicale qui m’était jusqu’alors inconnue : incubateurs, intubations, apnée, bradycardies, alarmes, jaunisse, gavage, pneumothorax, oxygène, PCO2, hémorragie cérébrale, dysplasie bronchopulmonaire, rétinopathie et j’en passe… »6.
Certains ont craint la mort plusieurs fois frôlée par leur bébé, d’autres ont affronté la maladie, la perte des capacités espérées chez leur enfant et d’autres encore ont vu les premières années de vie de leur enfant s’égrainer dans les hôpitaux à la recherche de réponses, de solutions et/ou d’hospitalisation. L’idée de revivre une expérience similaire devient excessivement difficile à envisager lorsque l’on est encore marqué au fer rouge par l’expérience précédente. La réminiscence de la peur alors ressentie, du sentiment d’impuissance et d’horreur sont autant d’obstacles à la concrétisation d’un tel projet. Sans étonnement, ces états d’âme s’apparentent parfois aux symptômes de stress post-traumatique qui, au demeurant, sont plus fréquemment observés chez les parents dont l’enfant a été hospitalisé à la naissance pour cause de maladie ou de prématurité que dans la population en général 7,8.
Lorsque le traumatisme n’est pas surmonté ou compensé par des motivations plus fortes, l’idée d’avoir un deuxième enfant devient alors sources d’angoisses profondes, difficiles à surmonter.
Enfin, malgré toutes ces contraintes, certains couples choisissent quand même d’avoir un deuxième enfant. Ni meilleurs, ni plus fous que ceux qui décident le contraire, ils affirment leur désir malgré les craintes présentes. Un désir qui, très souvent, était présent et bien ancré dans un projet de vie avant la venue du premier enfant. Les motivations sont diverses. Dans le livre Que deviennent les très grands prématurés de 26 semaines et moins, plusieurs parents expliquent leur motivation par un besoin de « sortir du handicap » et de normaliser la situation. Vivre enfin une grossesse harmonieuse, briser la solitude de l’aîné et rééquilibrer la tendance à la surprotection sont d’autres souhaits exprimés par ces couples qui choisissent d’agrandir la famille.
Et secrètement, derrière tout cela — tergiversations, dilemmes et angoisses —, certaines femmes profiteront de la nouvelle naissance pour calmer leurs peurs les plus intimes : et si je n’étais pas capable de donner naissance à un enfant en santé et offrir une vie douce à mon enfant? Et si je n’étais pas une assez bonne mère pour cela?
Références
- Le grand livre du bébé prématuré. Tome II. Causes, séquelles et autres enjeux de Sylvie Louis avec la collaboration spéciale de Gaëlle Trébaol et Annie Veilleux. Editions de l'Hôpital Sainte-Justine. ISBN: 9782922770322. 44.95 $
- Trottier, G., Srivastava, L., & Walker, C.D. (1999). Etiology of infantile autism : a review of recent advances in genetic and neurobiological research". J Psychiatry Neurosci. Mars 24 (2) : 103–115. Pour un résumé de l’article.
- Le syndrome de Down : Renseignements de base. Agence de la santé publique du Canada.
- Prévention primaire et secondaire des malformations du tube neural de Marie-Dominique Beaulieu et Brenda L. Beagan. Agence de la santé publique du Canada.
- Maladie : la fibrose kystique.
- Témoignages tirés du livre : Que deviennent les très grands prématurés de 26 semaines ou moins de Slyvie Louis. Éditions de l'Hôpital Sainte-Justine en collaboration avec les Éditions Enfants Québec. ISBN 9782896191208. 15.95 $
- Shaw J. R., Bernard, S. R., Deblois, T., Ikuta, M. L., Karni Ginzburg, R.N. et Koopman, C. 2009. The Relationship Between Acute Stress Disorder and Posttraumatic Stress Disorder in the Neonatal Intensive Care Unit
- Muller Nix, C. 2009. État de stress post-traumatique chez les mères et chez les pères d’enfants prématurés : similitudes et différences. Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, Volume 57, Issue 5, July 2009, Pages 385-391