Cet automne, l’Assemblée nationale doit se pencher sur le projet de loi 125 modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse (1979). En gros, ce projet de loi vise à réduire la durée des placements temporaires d’enfants en famille d'accueil, en favorisant la stabilité de l’enfant, entre autres, via l’adoption.
Modification importante
Les parents à qui on retirera la garde des enfants auront un délai précis, inscrit dans la loi, pour se reprendre en main et démontrer qu’ils sont aptes à retrouver leurs droits parentaux. Cette durée sera de 12 mois pour les bébés de moins de 2 ans, de 18 mois pour les bambins de 2 à 5 ans et de 24 mois pour les enfants de plus de 6 ans. Au terme de cette période, il peut se produire 3 choses : le tribunal prolonge le placement temporaire quand les parents sont en bonne voie de se reprendre en main, une famille d’accueil est désignée tuteur de l’enfant ou l’enfant est mis en adoption.
Assurance
Sans nier l’importance des deux premières alternatives, plusieurs se réjouissent particulièrement de l’ouverture faite à l’adoption, pour le bien-être de ces enfants bien sûr, mais aussi pour la paix d’esprit des parents adoptants qui s’engagent. Ainsi, on ferait en sorte que ces adoptions soient définitives, à l’épreuve des changements d'humeur des parents biologiques, dans des délais beaucoup plus courts que ce qui se pratique actuellement.
Pour Francine Laplante, mère adoptive, c’est un grand pas dans la bonne direction. « Si la loi avait été changée il y a 8 ans, j’aurais été la première à adopter mes enfants au Québec. Pourquoi pensez-vous que je suis allée en Haïti? Parce que je pouvais être sûre qu’ils étaient MES enfants et qu’il n’y avait aucun risque au bout de 2 ans qu’on vienne me les reprendre. »
Cette crainte d’être confrontés à la famille biologique, beaucoup de parents adoptants l’ont eu. Elle a conduit nombre d’entre eux vers les pays étrangers comme la Chine (50 % des adoptions) ou Haïti (10 % des adoptions). Francine et son époux Dominique ont été de ceux-là. Il y a 8 ans, ils ont adopté 2 garçons et attendent maintenant Rose qui devrait se joindre à la famille en mars 2006. « Je suis très consciente qu’il y a plein d’enfants abandonnés au Québec. Et qu’ils soient bleus, verts, bruns ou rouges, je m’en fous! Je veux juste être sûre qu’ils sont à moi. »
Enfants adoptés au Québec : | ± 240 |
Enfants adoptés à l’étranger : | ± 785 |
*Institut de la statistique du Québec, 2004
Adoption simple
Professeur de droit de la famille à l'Université de Montréal*, Alain Roy craint que le projet de loi 125 ne règle pas tous les problèmes. « Dans certains pays, il existe un autre modèle d'adoption, l'adoption dite simple, qui permet la coexistence des liens de filiation biologiques et adoptifs. Le jugement d'adoption simple n'efface pas le passé de l'enfant. L'acte de naissance original demeure, mais on y ajoute le nom des nouveaux parents adoptifs. » L’avantage de l’adoption simple – qui n’est pas encore prévue dans le projet de loi 125 –, est que l’acte de naissance vient confirmer l’existence des parents biologiques, mais surtout vient affirmer les droits permanents des parents adoptants.
Attention : pas pour tous
Même si le projet de loi 125 promet d’augmenter le nombre d’enfants disponibles, il ne faut pas s’attendre pour autant à cette augmentation soit significative sur le plan statistique, tout simplement parce que toutes les familles n’ont pas la capacité d’adopter un enfant retiré à sa famille biologique. Selon Denis Dupuis, chef du service d'adoption aux Centres jeunesse de Montréal, peu ont les ressources nécessaires pour vivre cette aventure pleine de responsabilités. « Si la DPJ est obligée de sortir l'enfant de là, c'est que le milieu biologique n'était pas adéquat. Ils ont pu être déplacés dans trois ou quatre familles d'accueil et avoir vécu plusieurs rejets. Le contexte dans lequel ils ont vécu fait en sorte qu'ils ont accumulé bien des problèmes et ne sont pas simples. Plus un enfant est âgé, plus il est susceptible d'avoir vécu longtemps dans une situation difficile. »
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Émotions fortes garanties
Même si elle a adopté en Haïti et non au Québec, Francine Laplante a vécu cette situation et la vit toujours d’une certaine façon. Entre Charles et Louis-Thomas, âgés de 18 mois et de 5 ans au moment de l’adoption, elle reconnaît qu’il y a une différence énorme, différence qu’elle attribue à la petite enfance carencée de Louis-Thomas qui a souffert d’abandon pendant 5 longues années. « Louis-Thomas est arrivé à 5 ans (il a maintenant 12 ans) et plus il vieillit, plus je suis consciente qu’il lui manque une partie de sa vie. Je dirais même que c’est plus flagrant maintenant que lorsqu’il est arrivé. Il y a un vide. Il y a un immense quelque chose qui manque. C’est certain que plus l’enfant est vieux à l’adoption, plus tu adoptes un passé que tu ne connais pas. »
Les parents qui souhaitent adopter un enfant plus vieux doivent donc être prêts à vivre toutes sortes d’émotions engendrées par le sentiment de rejet qui peut être très intense, comme nous le raconte Francine. « Le sentiment d'abandon est tellement fort!Je veux partager avec vous l’histoire d’une Québécoise qui avait adopté une petite Haïtienne. Cette enfant lui en a fait voir de toutes les couleurs, mais à chaque fois, la mère répétait « Je t’aime quand même ». À 18 ans, l’enfant a giflé sa mère et elle a encore une fois dit « je t’aime quand même ». À partir de ce jour-là, la jeune femme a complètement changé de comportement. Elle a expliqué qu’elle avait eu peur toute sa vie d’être abandonnée et qu’elle avait eu besoin de toujours vérifier si sa mère l’aimait, si elle l’abandonnerait. »
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Options
On peut adopter de deux façons au Québec : l’adoption régulière - quand une mère décide de donner son enfant en adoption - et ce qu’on appelle l’adoption de banque mixte - qui fait référence aux enfants retirés de leur milieu par le DPJ et qui sont éventuellement adoptés par leur famille d’accueil. Actuellement au Québec, le temps d’attente est d’environ six ans pour adopter un enfant québécois, (18 mois dans le cas d’un enfant de banque mixte), alors qu’adopter un enfant étranger nécessite une attente d’environ 15 à 18 mois.
Bien entendu le nombre total d’enfants québécois offerts en adoption va exploser avec la mise en application de ce projet de loi. Excepté que la Loi 125 ne touchera que les cas de DPJ et non les femmes désireuses de donner leur enfant en adoption. De ce côté, il n’y a pas d’amélioration en vue de faciliter le processus. Un des gros reproches adressés à la législation québécoise est à l’effet que les Québécoises qui choisissent l'adoption ne peuvent toujours pas choisir les futurs parents de leur bébé, une situation presque unique en Amérique du Nord.
Par exemple, en Ontario où la mère biologique peut choisir elle-même les parents adoptifs de son enfant, entre 15 et 20 bébés par mois (200 en moyenne par année) sont confiés à l'adoption, c’est 20 fois plus qu'au Québec. Des 20 000 enfants canadiens confiés à des services publics d’aide à l’enfance, seulement 2 000, toutes catégories confondues, sont confiés en adoption annuellement.
Avoir confiance
En terminant l’entretien, Francine avait une recommandation à faire aux futurs parents adoptants, ici où ailleurs. « Tout en étant préparés, faites-le un peu inconsciemment! Ne vous créez pas d’attentes. On ne vous donnera pas nécessairement l’enfant de vos rêves, peut-être qu’il va même vous rejeter pendant un certain temps. » Les épreuves ne l’ont pourtant pas découragée et c’est avec impatience qu’elle attend la venue de sa fille Rose au printemps prochain. Elle sait que le jeu en vaut la chandelle, surtout quand elle entend Louis-Thomas l’appeler. « Quand il dit « maman », ce n’est pas la même chose qu’avec mes deux autres enfants. Louis-Thomas savoure vraiment chaque lettre du mot maman, chaque fois qu’il le prononce. Et il a besoin de le répéter souvent, comme pour se convaincre lui-même. »
Pour en savoir plus :
L'Association de Parents pour l'Adoption Québécoise a été fondée en 1996 dans le but de favoriser l'adoption des enfants d'ici
* Alain Roy : Professeur de droit de la famille à l'Université de Montréal est l’auteur d'un ouvrage sur le droit québécois de l'adoption, à paraître en 2006 aux Éditions Wilson & Lafleur.
(SC - 2005)