La femme qui m’a donné la vie s’était enlevé la sienne.
C’était il y a trois ans. Je l’ai dit.
Elle serait morte du cancer que ça n’aurait pas été aussi difficile à vous partager. Mais parler du suicide reste… gênant. Honteux ? Oui, peut-être aussi. On m’a souvent dit que je ne devrais pas en parler, parce que c’est trop lourd. Mon passé familial est lourd et la société n’a pas envie d’en entendre parler.
En parler ouvertement me fait réaliser aussi que j’ai peut-être honte d’avoir honte. On ne devrait pas avoir honte de la maladie mentale de nos parents, de notre famille. Pourtant, j’ai l’impression que ç’a un effet stigmatisant. J’ai peur qu’on me juge, qu’on me mette dans la catégorie des fous par filiation, qu’on prenne mes enfants en pitié. Pire. Qu’on me dise que, à cause de mon passé familial, je ne suis pas la meilleure personne pour prendre soin de mes enfants…
De la science des statistiques
En 2012, après avoir tenté d’aider ma mère pendant une crise particulièrement difficile qui a duré plusieurs mois, j’ai pensé que la fatalité m’avait rattrapée.
À lire les études sur le suicide, les problèmes de santé mentale, la génétique… Je me suis rendue malade. Je ne contrôlais plus mes pensées. Comme Marie-Sissi Labrèche, j’avais peur d’engendrer des fous.
Je pensais que l’épée de Damoclès qui me pendait au-dessus de la tête allait tomber, à tout moment. Ce n’était plus une probabilité. C’était une certitude que j’allais aussi tomber dans les griffes de la maladie mentale.
Une spirale noire me tirait vers des pensées que je ne pouvais pas avoir… j’étais enceinte! Je devais ressentir le bonheur de porter un enfant. Je devais me trouver chanceuse de porter la vie pour une deuxième fois. Je ne devais pas vouloir en finir avec la mienne!
En finir pour arrêter d’avoir mal
Tout ce que je voulais, c’est arrêter d’avoir ces pensées. Parce qu’enceinte, on ne peut pas être dépressive. Parce que les cancers de l’âme sont si difficiles à cerner.
J’ai tendu des perches. J’ai été entendue, écoutée. Pendant les mois qui ont suivis, j’ai compris que cet épisode d’anxiété aurait pu me tuer. J’ai appris à désamorcer les crises, à les voir venir, à les comprendre, à ME comprendre.
Une cascade de détresses
Dans les mois précédant son suicide, ma mère a appelé à l’aide. Elle était malade depuis plusieurs années. Elle a même été hospitalisée à plusieurs reprises. Chaque fois, après quelques semaines, elle sortait en attendant un accompagnement en externe. D’une crise à l’autre, il y avait mobilisation familiale pour l’aider, avec certaines limites.
Des limites comme les obligations familiales et la distance physique qui nous séparait d’elle. Mais surtout la limite des émotions. Celle de voir ma propre mère dans une telle détresse que la seule option pour elle était de tenter l’irréparable. À répétition.
Le jour de son suicide, le numéro 1-866-APPELLE était accroché sur son frigo. Sur son répondeur, la nouvelle travailleuse sociale assignée à son dossier se présentait d’une voix enjouée. Elle était la troisième dans son dossier en quelques mois.
Inévitablement, la détresse de ma mère a laissé des traces sur qui je suis…
Le suicide change des vies
Avec de l’aide, j’ai appris que le suicide de ma mère fait partie de moi, de qui je suis. Mon identité porte cette cicatrice. La douleur ne disparaîtra jamais réellement. Mais j’ai le pouvoir de tourner cette douleur en urgence de vivre. Je commence d’ailleurs à y croire réellement, trois ans plus tard.
Si la mort de ma mère a laissé un grand trou dans mon cœur, la maternité m’a sauvée. Deux petits êtres humains m’ont accrochée à la vie, et l’amour de leur père aussi, bien entendu! Grâce à eux, et avec de l’aide professionnelle et compétente, je compte briser le cycle dans lequel on semble fatalement s’insérer quand la maladie mentale frappe à la porte de notre famille.
Le 10 septembre, ce sera la 15e édition de la Journée mondiale de la prévention du suicide. Pour trouver de l’aide : 1-866-APPELLE.
Écrit par Mariève Paradis
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