La musique fait partie de la vie depuis plusieurs millénaires. Des recherches avancent qu’elle aurait permis aux premiers humains de communiquer, avant même l’invention du langage. Cependant, il faut attendre l’époque de la Renaissance, vers le XVIe siècle, puis l’époque baroque, avant de voir apparaître les origines de l’harmonie musicale occidentale ou harmonie tonale. C’est à ce moment que les compositeurs commencent à rechercher davantage les enchaînements d’accords de trois sons plutôt que la beauté des lignes mélodiques basées sur des intervalles (deux sons), qui prévalaient dans la musique du Moyen-Âge : le contrepoint.
Ces accords, ou triades, permettaient d’évoquer un plus grand éventail d’émotions que les mélodies monophoniques utilisées dans le chant grégorien, par exemple. Rapidement, les théoriciens de la musique ont fait une distinction entre les accords majeurs et mineurs et ils ont pris conscience des effets différents que chacun d’eux pouvait provoquer au niveau émotionnel. Le compositeur français Jean-Philippe Rameau écrivait d’ailleurs, dans son Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, que « Le mode majeur convient aux chants d’allégresse et de réjouissance, aux tempêtes, aux furies et autres sujets de cette espèce ». Le mode mineur, quant à lui, « convient à la douceur et à la tendresse, aux plaintes, aux chants lugubres ».
Une question d’accords, d’accord?
Les accords majeurs et mineurs font donc maintenant partie des éléments essentiels utilisés dans la musique tonale occidentale, mais ils apparaissent aussi dans la structure de certaines musiques traditionnelles non occidentales. Sans s’arrêter sur une profonde explication scientifique, disons tout de même qu’en musique, le nombre et la force des harmoniques - petits sons aigus qui accompagnent une note principale - donnent à chacune de ces notes son timbre particulier qui font que le mi aigu, par exemple, sonnera différemment au piano et au violon. Ce sont les harmoniques qui influencent notre degré de perception des intervalles consonants et dissonants. Certains de ces intervalles ont un effet de stabilité tandis que les autres sont plutôt perçus comme instables, déplaisants.
Comme l’oreille accueille différemment les sons dissonants et consonants et qu’elle recherche le plus petit nombre de dissonances possibles, il va de soi de penser que les fondements de notre système musical tonal actuel n’ont pas été élaborés de façon arbitraire, mais bien en se basant sur le fonctionnement du système auditif humain. Ce système, organe très développé et à la source du sens de l’ouïe, qu’il appartienne au musicien, au non-musicien, à l’enfant, à l’adulte, à l’occidental ou à l’asiatique, tend à donner à l’accord majeur une interprétation positive alors que pour l’accord mineur, c’est plutôt une sensation négative qui en émane. De par sa composition en intervalles et les harmoniques produites, les deux accords offrent donc une sensation joyeuse ou triste, selon qu’il est majeur ou mineur.
Des recherches pour mieux comprendre
Des chercheurs ont essayé de comprendre pourquoi nous ressentons des émotions spécifiques à l’écoute de telle ou telle musique. Ils en sont venus à certaines conclusions en considérant entre autres la nature de la musique entendue, les différences démographiques entre les participants et les effets physiologiques engendrés. D’abord, les émotions ressenties principalement lors de l’écoute musicale sont la gaieté, la tristesse, la sérénité et la colère ou la peur. Le tempo de l’œuvre, ou sa vitesse d’éxécution, influence grandement les émotions ressenties. Le timbre et le mode y sont également pour beaucoup.
Aux fins d’une étude1, les participants devaient écouter différents extraits musicaux et les regrouper par émotion, quelle qu’elle soit. Il en est ressorti que les auditeurs reconnaissent les grandes catégories d’émotion mentionnées précédemment, mais aussi, qu’ils perçoivent des subtilités émotionnelles sur des extraits musicaux d’une durée de trente secondes. Le mode (majeur ou mineur, joyeux ou triste) avait aussi une incidence sur le regroupement des morceaux entendus. Finalement, les modifications physiologiques ont été notées et, selon les moments de tension, de détente et de dynamique musicales, on pouvait observer une variation du rythme cardiaque, du rythme respiratoire, du mouvement oculaire ou encore de la conductance de la peau (légère transpiration). Les participants à cette étude devaient répéter le même procédé deux fois dans un intervalle de deux semaines. À la lumière des résultats, les chercheurs ont pu déduire que la perception des émotions musicales est plutôt stable, tant individuellement que d’une personne à l’autre et peu importe son bagage musical.
Dans une autre étude2, les scientifiques ont découvert que les enfants de six à huit ans sont en mesure de distinguer un extrait musical joyeux ou triste et sont influencés par les facteurs de mode et de tempo comme chez les adultes. À cinq ans, leur jugement émotionnel musical semble dépendre seulement de la vitesse d’exécution et plus jeune, à trois et quatre ans, aucun des deux paramètres ne semble avoir d’effet. Ces résultats confirment donc que le tempo est un paramètre musical plus simple et plus rapide à traiter. De plus, il a été établi qu’un individu était habituellement en mesure d’évaluer l’émotion suggérée par un morceau musical de 500 millisecondes. C’est donc dire que les émotions musicales sont reconnues instantanément, aussi rapidement qu’un signal de danger.
Si vous voulez faire le test vous-mêmes, n’hésitez pas! Voici des extraits musicaux qui devraient vous inspirer… émotionnellement.
- Rhapsody on a Theme of Paganini
- Swan Lake, Tchaikovsky
- Symphony No. 9 - Mov. 2, Wendy Carlos
- La Cumparsita, Rodriguez
- Adagio for Strings, Tiesto
Il y a d’autres belles pièces musicales sur le site Zlab, si vous désirez poursuivre l’expérience!
Une réelle sensation de plaisir!
Nous avons déjà mentionné que la musique consonante était plus agréable à notre oreille. Celle-ci déclenche différentes stimulations dans des zones précises du cerveau, notamment celle associée à la récompense et aux dépendances. Des neuroscientifiques se sont aussi intéressés à la provenance du frisson musical, ce moment de plaisir intense ressenti lors de l’écoute d’un passage d’un morceau musical et accompagné de ce qu’on appelle la chair de poule! Cette expérience serait liée à la libération de dopamine, neurotransmetteurs à l’origine de la sensation de plaisir. Nous pouvons donc en déduire que la musique nous fait plaisir, tout comme la nourriture, la drogue ou le sexe, parce qu’elle active le circuit cérébral de la gratification.
Toutes ces observations nous aident à mieux comprendre la place importante qu’occupe la musique dans nos sociétés. Nos réponses émotionnelles à la musique sont riches, rapides et profondément ancrées dans notre cerveau, ce qui signifie que la musique revêt un statut bien particulier pour notre espèce. On dit souvent que la musique est un langage que tous peuvent s’approprier, sans barrière de culture ou de langue maternelle. En plus de pouvoir être utilisée comme remède non pharmacologique auprès des malades neurologiques ou psychiatriques et d’améliorer le développement cognitif chez l’enfant, entre autres, la musique demeure un élément de plaisir et un attribut identitaire.
En fonction de ce qui a été dit ici et de tout ce que nous savons pour l’avoir expérimenté et ressenti personnellement, pourrions-nous croire que les peuples qui étaient plus sensibles à la musique, et donc plus sereins et profitant d’une meilleure cohésion sociale, en général, sont ceux qui ont réussi à survivre au cours des siècles et des millénaires? Allez-y, écoutez de la musique!
Références
- BIGAND, E., VIEILLARD, S., MADURELL, F., MAROZEAU, J., & DACQUET, A, Multidimensional scaling of emotional
- L. GAGNON et I. PERETZ, Mode and tempo relative contributions to « happy-sad » judgements in equitone melodies, in Cognition and Emotion, vol. 17 (1), pp. 25-40, 2003.