Pour bien comprendre la situation, il faut d’abord savoir qu’il existe trois types de dons d’ovules :
- Les dons dirigés : la donneuse et la receveuse sont proches l’une de l’autre – cousine, sœur, amie par exemple – et toutes deux se rendent à la clinique ensemble pour procéder au prélèvement et à l’implantation.
- Les dons croisés : la femme qui ne veut pas rencontrer celle qui fera don de ses ovules recrute une donneuse qui l’accompagne à la clinique, mais elle ne lui donnera pas ses ovules. En parallèle, une autre femme ayant besoin d’ovules se présente à la clinique avec une donneuse qui ne lui donnera pas ses ovules, mais qui les donnera plutôt à la première receveuse et vice-versa : la première donneuse donnera ses ovules à la deuxième receveuse.
- Les dons altruistes : les donneuses, anonymes, se présentent à la clinique afin que l’on prélève leurs ovules, qui seront ensuite mis en contact avec le sperme du conjoint d’une receveuse qu’elle ne connaît pas.
Qui sont les receveuses?
Les ovules donnés sont utilisés par les femmes qui ne peuvent concevoir parce que leur fonction ovarienne est diminuée ou qu’elles sont carrément dépourvues d’ovaires, de même par les femmes atteintes d’une maladie génétique ou qui ont des antécédents génétiques.
Les demandes de don d’ovules sont de plus en plus fréquentes, notamment parce qu’un nombre croissant de femmes attendent la quarantaine pour concevoir, que ce soit pour des raisons professionnelles ou pour d’autres raisons, et leurs ovaires sont malheureusement moins « jeunes » qu’à 20 ans.
De plus en plus de couples homosexuels ont également recours aux banques de sperme ou aux donneuses d’ovules pour avoir un enfant.
Qui sont les donneuses?
Elles doivent être âgées de 35 ans ou moins et ne pas être atteintes d’une maladie génétique; les femmes qui souhaitent faire un don doivent d’ailleurs subir des tests sanguins à cet effet.
Les donneuses d’ovules ne se bousculent pas à la porte des cliniques de procréation assistée et sont évidemment beaucoup moins nombreuses que les donneurs de sperme.
Pourquoi? Parce que le processus pour faire ce type de don est beaucoup plus long, plus complexe et plus intrusif.
Dons d’ovules : le processus
La donneuse, de même que la receveuse et son conjoint doivent d’abord subir des tests préparatoires génétiques (tests sanguins) afin de s’assurer qu’il n’y a pas de risque de transmission d’une maladie génétique.
Tous trois rencontrent ensuite le psychologue de la clinique, afin de s’assurer que leur décision respective est bien éclairée. Ils doivent également discuter du risque que la donneuse ressente éventuellement de l’attachement pour l’enfant qui porte une partie de ses gènes.
On administre ensuite à la donneuse des médicaments (qui contiennent des hormones) afin de stimuler la production de plusieurs ovules : c’est l’hyperstimulation ovarienne contrôlée. Les ovaires peuvent produire ainsi jusqu’à 15 ovules.
Après leur période de maturation, les ovules sont ensuite prélevés, sous anesthésie locale.
Tout ce processus dure entre 10 et 26 jours.
On peut également effectuer la ponction des ovules sans stimulation ovarienne; les médecins s’adaptent alors au cycle de la donneuse. On récolte toutefois ainsi moins d’ovules.
Une fois que les ovules sont prélevés, on les laisse se développer pendant quelques jours, après quoi ils sont mis en contact avec le sperme du conjoint de la receveuse, puis placés dans un incubateur.
Enfin, les médecins introduisent les embryons dans l’utérus de la receveuse (en général trois au maximum).
Le seul risque auquel est exposée la donneuse est celui du syndrome d’hyperstimulation, qui peut causer de l’infection, des douleurs ou une hémorragie et nécessiter une hospitalisation; ce risque est toutefois minime (environ 1 %), et il peut être contrôlé, signale Dr Jacques Kadoch, directeur médical de la clinique de procréation assistée du CHUM.
Trop peu de dons : pourquoi?
Les dons de sperme et d’ovules n’ont jamais été rémunérés au Québec et ils ne le sont plus dans le reste du Canada depuis l’adoption de la Loi fédérale sur la procréation assistée en 2004. Elle est dépassée l’époque où, au Canada, les jeunes femmes pouvaient se payer des études universitaires en faisant un don d’ovules généreusement rémunéré…
La loi autorise cependant les cliniques à dédommager les donneurs pour leurs déplacements, sur présentation d'un reçu. Ce montant varie d'une clinique à l'autre.
Ce qui est sûr, c’est que le nombre de donneurs et de donneuses a considérablement diminué au pays depuis que la loi est adoptée. Au Québec, l’approvisionnement des banques de sperme a peu changé depuis l’adoption de la loi; il n’y a pas pénurie, mais comme la procréation assistée fait l’objet d’un nombre grandissant de demandes, les cliniques doivent parfois « importer » la précieuse semence de l’Ontario.
Avec les dons d’ovules, la situation est plus préoccupante : c’est qu’on ne peut pas constituer de « réserves » d’ovocytes parce qu’ils se conservent plus difficilement, contrairement aux gamètes masculins, que l’on peut conserver pendant un certain temps. La situation est encore plus préoccupante au Québec, car une nouvelle technique de congélation ultra-rapide (la vitrification) est désormais utilisée (depuis un peu plus de deux ans) dans les autres provinces, mais pas au Québec, souligne Dr Jacques Kadoch, directeur médical de la clinique de procréation assistée du CHUM. « Jusque-là (avant l’arrivée de cette technologie), il fallait faire le don avec des ovules frais », précise-t-il.
Manque d’ovules : les conséquences
Pas de banques d’ovules, de rares donneuses volontaires dans l’entourage des femmes ayant besoin d’ovules et encore moins de donneuses altruistes : résultat; de plus en plus de Québécoises se tournent vers les États-Unis ou le Mexique pour aller chercher la semence qui sera fécondée par le sperme de leur conjoint. C’est ce que l’on pourrait appeler le tourisme reproductif et, selon Dr Kadoch, il est en croissance.
Le mot pénurie ne fait pas partie du vocabulaire des cliniques de fertilité de ces pays puisque les banques sont bien approvisionnées par des donneurs et des donneuses... rémunérés.
« On commence à avoir de plus en plus de demandes de patientes qui sont au Québec et qui achètent des ovules en allant sur place ou en restant au Québec et en les achetant dans un catalogue. On nous les envoie vitrifiés, on les décongèle ici et on procède à la fécondation avec le sperme du conjoint », explique le gynécologue.
Le hic, c’est que le gouvernement du Québec rembourse les dépenses des couples qui achètent du sperme à l’extérieur du pays, mais les femmes qui se procurent des ovules à l’étranger ne recoivent pas le même traitement financier… Pourquoi? « Simplement parce que la technologie de vitrification n’était pas courante quand on a fait la loi (sur la procréation assistée) », répond Dr Kadoch.
Ce système « deux poids – deux mesures » finira bien par être contesté par toutes ces femmes qui n’ont pas les moyens de débourser des milliers de dollars pour se procurer des ovules outre-mer. Et si elles finissent par réclamer ce remboursement, le gouvernement se dirigera vers une catastrophe financière, signale le spécialiste.
La solution : rémunérer les donneurs et les donneuses?
Oui, répond sans hésiter Dr Kadoch. Il cite en exemple l’Espagne, où le gouvernement fixe le tarif de rémunération des donneurs et des donneuses.
Si le gouvernement du Québec décidait d’en faire autant, il freinerait le nombre de femmes qui se tournent vers l’extérieur du pays pour acheter des ovules et qui sont susceptibles de lui réclamer un remboursement coûteux.
De plus, « en rémunérant les donneuses, on exerce un meilleur contrôle sur les dons et donc sur les problèmes de consanguinité reliés aux dons multiples… »
La rémunération des dons : l’opposition
L’opinion de Dr Kadoch est loin de faire l’unanimité. Un grand nombre de personnes s’opposent au paiement des dons, arguant qu’il s’agit d’une entorse à l’éthique.
Abby Lippman, professeure au Département d’épidémiologie de l’Université McGill et membre du conseil d’administration de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) estime que le matériel reproductif humain ne devrait pas être marchandé ou commercialisé, notamment parce que des femmes démunies pourraient alors y voir un moyen de gagner un montant substantiel d’argent.
Le « marché noir » québécois
Même si on n’en connaît pas l’ampleur, le commerce illégal des ovules existe au Québec; des « donneuses professionnelles » se font connaître souvent par le biais des petites annonces et sont grassement payées pour leurs ovules, mentionne Dr Kadoch.
La rémunération des donneuses n’éradiquerait peut-être pas ce commerce, mais elle en freinerait la propagation, estime le gynécologue.
Le Québec devrait également se doter d’un inventaire des femmes qui font des dons répétés, notamment parce que le risque de cancer des ovaires est plus élevé chez elles.
Selon Abby Lippman, un inventaire des enfants nés de la procréation assistée (ce qui inclut bien sûr ceux qui sont issus d’un don d’ovules) est également nécessaire, dans le but notamment d’effectuer un suivi plus efficace de leur état de santé. Celui-ci pourrait également être utile pour éviter les conséquences de l’éventuelle découverte de leurs « demi-frères » ou « demi-sœurs »…
Elle va plus loin en affirmant que l’on devrait aussi amorcer une réflexion sur l’augmentation des problèmes d’infertilité et incidemment, au recours croissant à la procréation assistée; quelles sont les causes de cette hausse de l’infertilité?
Mais ça, c’est une autre question...
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