Les premiers jours, ça gargouillait dans ta bedaine, tu pleurais beaucoup et j’étais une nouvelle maman, alors j’apprenais à te connaitre. Tu étais toujours dans mes bras, le jour et la nuit… Tu sais, les bras de ta maman ne sont pas très forts, elle traine de vieilles blessures, mais même quand je n’avais plus de force pour te tenir, je m’installais dans le coin du divan avec un gros coussin pour te tapoter les foufounes, le temps que ta vilaine colique passe. Tu es né à l’automne et j’adorais faire du cocooning avec toi, même si j’étais cernée jusqu’au menton. Tu aimais boire vers 5h du matin : j’allais te chercher, je t’emmenais dans le salon, j’ouvrais le rideau dans la noirceur pour regarder les premiers travailleurs prendre la route en écoutant les reprises de Chambres en ville (pour savoir si Pete était revenu avec sa Lola). Pour moi, c’était vraiment le bonheur d’avoir un petit bout de vie à m’occuper parce qu’à ce moment, tu étais vraiment ce que j’attendais…
Les mois avançaient, tu gigotais toujours de plus en plus, les boires de la nuit étaient de moins en moins présents et t’endormir en te berçant devenait une épreuve olympique parce que tu étais devenu un petit véhicule tout-terrain qui aimait partir à l’aventure pour découvrir les contrées lointaines de la maison. Tu grandissais à la vitesse Grand V et visiblement, je n’avais aucun contrôle là-dessus (comme sur tout le reste d’ailleurs)! Tu as soufflé tes premières bougies, tu as commencé la garderie et j’ai vu tranquillement une petite indépendance s’installer à l’intérieur de toi, tu ne grandissais pas seulement de l’extérieur, mais de l’intérieur aussi.
Vers 24 mois, mon ami le M.Terrible Two est arrivé. Je dis mon ami, car même si dans ce temps-là je l’aurais swingué dans le fleuve St-Laurent enroulé dans une corde avec 200 livres de roches pour m’en débarrasser, aujourd’hui, je sais que c’est grâce à lui si nous avons appris ensemble nos limites et que nous formons une si bonne équipe! Pendant sa visite, il y a quelques années, papa et moi avons découvert de nouvelles façons de te prendre pour te ramener pendant une crise de bacon. Tu te souviens peut-être de la façon diagonale pour éviter de manger une série de coups de pied dans le ventre ou dans les bijoux de famille de ton père? Bref, à ce moment-là, je l’avoue, Chambres en ville me manquait un peu!
Puis, il y a un mois, en revenant de chez ta Mamie Bleue, je me suis stationnée dans l’entrée de la maison, tu dormais depuis déjà un bon moment, j’ai ouvert la porte de la voiture, j’ai détaché ta ceinture et j’ai essayé de te sortir pour aller te porter doucement dans ton lit, comme avant… Mon bébé, tu étais rendu trop grand, trop pesant, je n’y arrivais pas. J’ai essayé de me reprendre, mais tu avais trop grandi… J’ai reculé, puis j’ai senti les larmes couler sur mes joues. C’était un mélange de fierté, de tristesse, de bonheur et de nostalgie. J’avais l’impression que tout avait passé trop vite, que tu grandissais plus rapidement que j’étais capable de l’encaisser. Je sais, c’est normal que nos enfants grandissent, c’est une fierté pas possible, mais mon cœur de maman réalisait beaucoup de choses à un moment où je ne m’y attendais pas du tout. Ce n’est pas comme lorsque l’on va à la graduation de la garderie, on s’attend à pleurer, c’est clair que ça va couler tout seul! Dans mon stationnement, à 22h, c’était toute autre chose. Comme un claquement de doigts entre les deux yeux qui te dit : ton bébé peut marcher tout seul maintenant!
Je t’ai réveillé pour que tu marches jusqu’à ta chambre avec les deux yeux dans la graisse de bine. Je te tenais parce que tu tenais debout comme du Jell-O pas tout à fait figé. Je t’ai couché dans ton lit, je t’ai enlevé tes petits souliers, ton petit manteau, j’ai tiré ta doudou pour te garder au chaud et je t’ai demandé dans l’oreille en chuchotant si je pouvais te prendre un peu… Tu t’es assis un peu, en boulette sur mes cuisses, j’ai accoté ta joue dans mon cou pour te chanter Il était un petit homme pirouette, cacahuète, comme quand tu étais petit…
Depuis toujours mon grand, je t’ai pris quand tu me tendais les bras pour un câlin, quand nous avions choisi un chemin trop long pour marcher, quand tu boudais la poussette au centre d’achat, en attendant dans la longue file pour aller voir le père Noël, quand tu venais de tomber, pour te consoler, quand tu avais peur des drôles de bruits, quand tu sentais que j’avais de la peine et que tu voulais mettre de l’amour dans mon cœur… Ce soir-là, le soir où j’ai compris que tu étais trop grand pour que je te prenne dans mes bras, j’ai réalisé que de te prendre sur mes cuisses était comme un sursis, un temps bonus entre le moment présent et celui où tu seras trop grand pour te coller sur ta maman n’importe où, n’importe quand…
Mon grand, sache que peu importe l’âge que tu auras, j’aurai toujours en tête la chance que j’avais d’être cernée juste pour pouvoir te prendre toutes les minutes de la nuit et sentir ton petit cœur battre contre le mien. Il y aura toujours une place dans mes bras pour te serrer, juste pour te chuchoter des « Je t’aime »…