L'échec de l'allaitement... vraiment?
Je rencontre trop régulièrement des femmes en deuil, un deuil tabou et méconnu: celui de l’échec de l’allaitement.
Ces femmes qui désiraient mener à bien ce projet, cette fonction que l’on croit innée et intuitive. Cette logique de la mère, qui saura comment faire marcher son corps, parce qu’on n’imagine pas que l’allaitement, c’est une histoire de transmission. Ces femmes, les exclues du clan, qui n’osent pas dire qu’elles ont manqué de support, de soutien, de professionnels formés. Ces femmes laissées pour compte, qui ont été mal conseillées, mal accueillies et qui ont fini par abandonner, à bout de force, ce projet tant aimé. Il est parfois si difficile de se résigner, et si…, tout ce qu’elles auraient pu, dû faire, pour éviter l’irréparable. Une montagne sur leurs épaules de culpabilité et de sentiment d’incompétence. Et pourtant, le corps en sang, la peur au ventre que bébé ne prenne pas assez de poids, que les conseils mal venus disent tout et leur contraire, cet or blanc si convoité devenu obsession, elles ne manquent pas de persévérance et si seulement la bonne main avait été tendue, les mots rassurants, le regard confiant leur rappelant que, oui, l’allaitement est naturel mais que, non, il n’est pas toujours une évidence et que cela peut parfois même être une science très pointue. Une science si mal connue sous nos latitudes occidentales qui prônent pourtant l’allaitement. Mais une promotion, sans un accompagnement adéquat, c’est un peu comme un travail à l’ébauche. C’est une chaîne, un allaitement réussi.
Une femme, une famille informée, des ressources disponibles et pluridisciplinaires, du soutien, des échanges, de l’endurance, une bonne connaissance de soi, un enfant avec de bonnes dispositions. Nous ne sommes pas égales face à ce défi. Puis, la nature, l’environnement, le corps, la tête sont un équilibre si parfait, si précieux, qu’on ne questionne pas la facilité de mettre au sein. Cela peut-être si douloureux de réaliser qu’on ne pourra pas nourrir par soi-même et que, malgré la volonté, tout résiste autour de nous. Eh oui, l’allaitement est une relation et, pour que cela fonctionne, il faut avoir plusieurs critères réunis et, parfois, on néglige les aspects extérieurs. Il y a le physiologique (et toute la fragilité du lien dans un monde de performance) ou la pression sociale, l’entourage brime trop souvent l’intime et l’invisible.
Une femme qui commence à allaiter est, à la fois, la force incarnée et en toute vulnérabilité. Elle initie une dynamique et, pour que la magie opère, il y a tout un processus qui doit être aligné.
À toutes ces femmes qui ont eu l’impression d’être trahies par leur corps, abandonnées par le système, négligées dans leurs appels à l’aide. Minimisées dans leurs sensations, leur cœur blessé, qui n’arrivaient pas à compléter ce projet maternel, sachez qu’il existe bien des ressources prêtes à vous accompagner dans cette aventure. Avant, pendant et après, tout au long du parcours. Des consultantes en lactation, des doulas postnatales, des accompagnements périnataux et familiaux, des personnes solides et expérimentées qui sauront trouver les mots, la technique, les outils pour traverser chacune des étapes: la prise de décision, la mise en place, l’évolution et le sevrage de l’allaitement. Chaque escale est à ritualiser, chacune vit des émotions très particulières, et les réponses sont multiples. Il est question du plus profond de soi, de ses rêves et ses aspirations. Il y a une histoire, parfois qui remonte à plusieurs générations, et l’allaitement fait partie intégrante du processus de la mise au monde de la mère.
Non, vous n’êtes pas moins habiles, moins bonnes, vous avez peut-être juste été tenues à l’écart de la véritable information: l’allaitement est un sujet complexe et, dans toutes les cultures, il a toujours été porté par des plus expérimentées. Cela s’apprend, cela se ressent, cela se transmet, cela s’accompagne et, dans toute cette énergie de soutien, il demeure une initiative unique et personnelle.
Publication initiale octobre 2018