Famille

Composer une famille recomposée

Quand on est prêt pour un autre amour et qu'on veut jumeler les deux familles, comment mettre toutes les chances de notre côté pour que la nouvelle cohabitation soit harmonieuse?

Notre première union n’a pas tenu le coup. Une fois, les blessures pansées, notre cœur est prêt pour un autre amour. Tout va bien. Puis, un jour, la possibilité d’aller vivre ensemble, en jumelant les deux familles, se pointe à l’horizon. Comment mettre toutes les chances de notre côté pour que la nouvelle cohabitation soit harmonieuse?

Il n’y a pas de recette à suivre, ni de guide garantissant un succès assuré, mais en prévoyant bien cette étape, on peut éviter bien des maux de tête. Un nouveau couple qui décide de vivre sous le même toit, avec leurs enfants respectifs, c’est d’abord un bouleversement majeur dans la vie des enfants et même des adultes. « On part avec des conditions gagnantes quand les deux parents n’ont pas de relations conflictuelles avec leur ex-conjoint. Cela évite d’exacerber les raisons de chicane et ne devient pas un stresseur de plus à concilier au sein de la nouvelle famille. Ainsi, on évite de mettre de l’huile sur le feu et de voir des ex-conjoints parler en mal du nouveau conjoint », suggère Lorraine Vallée, psychologue en pratique privée.

Une étape stressante pour les enfants

Parfois pour les enfants qui espèrent toujours que leurs parents « reviennent » ensemble, ce déménagement devient l’anéantissement des rêves de réconciliation. Aussi, il faut que ces derniers soient rassurés. « Les parents doivent rappeler à leurs enfants que leur relation est là pour toujours et que vous ne vous séparerez jamais d'eux. Ils doivent leur réitérer que la séparation n'est pas à cause d'eux et que c'est un problème d'adultes. Et surtout, il faut leur dire qu'ils ont la permission et que c'est correct d'aimer le nouveau conjoint de maman ou la conjointe de papa et que cet amour n'enlève rien à l'amour qu'ils ont pour leur maman et leur papa », note Michelle Parent, psychologue. Ce conflit de loyauté est parfois difficile à vivre pour l’enfant qui s’empêche de s’investir dans une nouvelle relation avec le nouveau conjoint par peur de blesser l’autre parent.

De là l’importance pour les parents d’agir… en adultes!

« Les parents doivent faire une distinction entre le couple conjugal et le couple parental. Ils doivent faire le deuil du couple conjugal qui n’existe plus à cause de la séparation. Mais ils formeront, pour toujours, un couple parental. La souffrance liée à l’éclatement du couple conjugal influence le couple parental. Plus les adultes en tant que parents mêlent dans leurs discussions des éléments qui appartiennent à l'ancienne vie conjugale, plus les enfants vont souffrir. À l'inverse, plus le deuil du couple conjugal qu'il formait est bien résolu et plus ils sont capables de reconnaître la bonne mère ou le bon père que l’autre est pour leurs enfants, plus ces derniers se sentent aimés et sécurisés. Il faut faire la part : « il n’était pas un bon amoureux » ne veut pas dire qu’il « n’était pas un bon père ». Si la distinction se fait bien et que le couple parental va bien et se respecte, les enfants s'épanouissent », dit Michelle Parent.

Et quand les enfants se sentent bien, quand ils ne vivent pas de conflits de loyauté et qu’ils se sentent toujours autant aimés, ils auront plus de chances de s’adapter à la nouvelle cohabitation.

Rien n’est gagné d’avance

Même si tout semble en place pour que le déménagement soit un succès, il demeure que cette nouvelle étape est un grand bouleversement. « L’enfant ne dirige pas la vie des parents, mais ceux-ci doivent être sensibles à ce que les petits vivent. Ils peuvent essayer de se mettre à la place de leurs enfants en s’imaginant qu’on leur propose d’aller vivre avec quelqu’un qu’ils ne connaissent pas beaucoup ou qu’ils n’aiment pas beaucoup, parfois même dans une autre ville et que cela aura comme effet qu’ils devront changer d’école, s’éloigner de ses amis, etc. Ce n’est pas évident que l’enfant va sauter de joie », illustre Lorraine Vallée. Il faut donc que les parents agissent… en adultes. Tous les adultes impliqués doivent donc être matures pour que la transition soit bonne et harmonieuse. « C’est parfois difficile pour un ex-conjoint de voir l’autre parent aller habiter avec son nouvel amoureux. Si l’ancienne relation n’est pas « réglée », c’est comme un clou dans le cercueil difficile à accepter », nuance Lorraine Vallée.

On n’annonce pas à la sauvette à nos enfants qu’on déménage le mois prochain et que la maison est déjà achetée. « Il faut un certain doigté pour que l’idée fasse son chemin. On se rappelle que l’enfant n’a pas choisi cette situation et qu’il la subit », note-t-elle.

L’aide du temps

Comme pour bien d’autres choses dans nos vies, le temps est souvent une aide précieuse. « Accepter que le processus soit long et se donner du temps est parfois une embûche à notre projet. On voudrait que tout aille vite, précise Michelle Parent. Il est important de se donner le temps de « naître » comme famille reconstituée. Habituellement, on passe de l’étape de couple à celui de couple en désir d’enfant, puis survient une grossesse, et là c’est une tout autre chose. Il faut se donner du temps. » De plus, en préparant les enfants à une éventuelle cohabitation, en leur faisant voir les côtés positifs, en écoutant leurs craintes et en trouvant certains compromis, on comprend plus leurs résistances, on peut s’y ajuster parfois (on déménage dans la même ville pour éviter de changer d’école), et on essaie de rendre le projet plus intéressant pour eux. « Rien ne sert de forcer ou d’imposer pour que ça marche à tout prix! On ne partirait vraiment pas gagnant », note Lorraine Vallée.

Concilier les différences

Si chez Sophie, le samedi matin, on fait la grasse matinée et on flâne en pyjama et que chez Jules, c’est la journée du ménage et des courses, comment concilier tout cela dans une nouvelle maison commune? Bien sûr, on veut éviter les frictions, alors mieux vaut observer le mode de vie de chaque famille avant la cohabitation. Déjà, lorsque le couple se fréquente, il est facile de voir les habitudes qui sont les mêmes et celles qui diffèrent.

En prévoyant les difficultés ou les potentielles sources de frictions et s’en parler avant de déménager permettent d’éviter les confrontations sur le fait. « Le nouveau couple doit s’interroger sur leur mode de vie et établir des règles communes pour éviter les chicanes et ainsi accentuer les frictions et gâcher le climat », recommande Lorraine Vallée. Le respect des autres façons de faire les choses est important. Mais habituellement quand on songe à aller vivre ensemble, les conjoints se ressemblent sur bien des points. « Et si on a des modes de vie opposés ou peu conciliables, on est peut-être mieux de s’acheter un duplex où chacun a son espace et ses règles de vie », suggère Lorraine Vallée.

Mise au point

Une mise au point dès le départ est souhaitable pour éviter les prises de bec qui auront nécessairement des répercussions sur le couple et la vie de la nouvelle famille. On établit des règles et des valeurs auxquelles les deux conjoints se fieront pour exercer une forme d’autorité sur les enfants de la maisonnée. Le respect de ces règles et mode de vie sera exigé par les adultes de la maison. « Si l’enfant lance un « tu n’es pas mon père » au nouveau conjoint de sa mère, ce dernier peut lui dire « Non, mais ta mère et moi avons établi certaines règles que tu dois respecter ». Parler au « nous », peu importe que ce soit dans une famille traditionnelle ou recomposée, est toujours une bonne formule », suggère Michelle Parent.

Même chose quand les frictions viennent du fait que chez « l’autre » parent, ce n’est pas la même chose. Il faut être clair. « Si possible, on favorise une concertation entre les différents adultes des familles recomposées pour faciliter l'adaptation et la vie de l'enfant. S’il y a des divergences d'éducation, il faut expliquer à l'enfant que chez maman c'est comme cela et chez papa c'est comme ceci sans dénigrer le mode différent d'éducation de l'autre parent. L'enfant développera ses compétences d'adaptation dans les milieux différents si les règles sont claires et qu'elles sont stables », rappelle Michelle Parent.

Une alternative

Les enfants se braquent ou un des conjoints semble trouver le projet trop lourd pour l’instant? C’est normal! « Comme dans chaque événement de la vie, il y a des aménagements à faire et chacun a plus ou moins de mécanismes de défense pour s’adapter aux changements. Il faut trouver un rythme confortable pour tous », explique Michelle Parent.

Si c’est possible, une période d’essai permettra aux deux familles de voir si une cohabitation est réellement possible. « On peut louer un chalet pendant les vacances d’été et observer attentivement la dynamique entre tous. On peut vivre la semaine dans nos maisons, mais ensemble les weekends pour un certain temps. Cela permet aussi aux enfants de mieux s’apprivoiser », propose Lorraine Vallée.

Et si on s’aperçoit que nos modes de vie sont trop différents, que nos enfants ne sont pas prêts ou que simplement on préfère attendre qu’ils soient un peu plus vieux, d’autres solutions sont possibles : on peut décider de déménager plus près de l’autre conjoint sans pour autant vivre avec lui, on peut remettre le projet à plus tard, mais en passant nos vacances tous ensemble, etc.

Pensez… enfant

Dans une famille recomposée comme dans une famille traditionnelle, il est important que chaque parent passe des moments exclusifs avec chacun de ses enfants. « Cela intensifie notre relation avec eux », note Michelle Parent. Aussi, rester à l’écoute de ses enfants et les écouter vraiment constitue une condition gagnante pour que la cohabitation se fasse bien.

Pour s’adapter à cette nouvelle maison, les enfants doivent avoir un espace à eux. Parfois, ce n’est pas possible que chaque enfant ait une chambre à lui seul, mais on peut déjouer le tout en leur proposant d’installer un rideau ou un paravent pour créer une forme d’intimité. On leur propose de décorer à leur goût leur chambre ou de leur acheter une douillette qui leur plaît.

En les impliquant dans les décisions, en les faisant participer au projet et en leur faisant sentir qu’ils sont au cœur de cette aventure, ils se sentiront plus confiants et plus optimistes. « Quand on leur demande leur avis, quand on les écoute et quand on est capable de se mettre à leur place pour comprendre leur point de vue, on met plus de chance de notre côté », rappelle Lorraine Vallée.

Mieux prévoir

La clé est souvent le dialogue. Il faut en arriver à être capable d’exprimer nos craintes, nos peurs et nos doutes. Par exemple, une femme peut adorer son couple avec son nouveau conjoint parce qu’elle se sent pleinement « femme » et pas juste « maman », mais qu’elle n’a pas envie d’aller habiter avec lui. Pour elle, cohabitation résonne « maternage » comme elle peut l’avoir fait dans une précédente union. Elle a peur que le même modèle recommence. Il faut qu’elle trouve l’origine de ses craintes et une fois que ce sera fait, cette femme sera peut-être prête à cohabiter et sera aussi nécessairement plus vigilante.

Finalement, lire sur le sujet et même aller consulter un psychologue, avant même que le projet de cohabitation soit concrétisé, peut nous aider en prévoyant ce qui pourrait arriver. En arrivant à exprimer nos craintes et nos peurs – et surtout quand on est entendu –, on y voit toujours beaucoup plus clair.

Image de Nadine Descheneaux

Autrice jeunesse et conférencière.


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