« L’être humain joue depuis la nuit des temps. C’est donc signe que c’est dans notre structure psychologique », avance Rolande Filion, psychopédagogue, professeure au Cégep de Sainte-Foy et coauteure du système ESAR, un outil de classement et d'analyse psychologique des jeux. Et pas besoin de disposer de grands moyens pour s’amuser, assure la psychopédagogue qui a séjourné au Congo. « Même en zone de guerre, les enfants prennent ce qui leur tombe sous la main et reproduisent des scènes plus difficiles de leur réalité pour les extérioriser, mais aussi des moments paisibles du quotidien pour les intégrer et apprendre tranquillement à devenir des adultes. »
« Le jeu, c’est comme une super-vitamine du développement, entre autres pour les petits d’âge préscolaire », illustre Francine Ferland, ergothérapeute et professeure émérite de l’Université de Montréal. Aussi simple soit le jeu en apparence, ses effets se font sentir sur plus d’un plan. « Quand un enfant se déguise, par exemple, tout ce qui touche à sa motricité fine et à sa perception entre en action. S’il le fait avec d’autres enfants, l’aspect social est aussi impliqué, et c’est sans compter que ça lui permet de s’exprimer. »
Il veut toujours gagner…
Tous les enfants passent par une période durant laquelle être désigné le perdant d’un jeu est inconcevable! Ça arrive généralement vers deux ans et demi ou trois ans. Perdre à un jeu est très mal vécu par la plupart des enfants de cet âge, certains pouvant faire la baboune ou pleurer, quand d’autres vont littéralement vivre un drame existentiel. « La déception peut être très intense pour l’enfant, à tel point qu’il va se mettre à tricher ou piquer une colère. Cela signifie que son estime de soi est en jeu », explique Sandra Rafman, psychologue clinicienne et pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants.
Pour certains enfants même, gagner est capital, car c’est devenu une question de contrôle : « Cela se remarque chez ceux qui sont ballottés d’une famille à l’autre, par exemple. Le jeu prend une importance démesurée, car il permet de mettre de côté les peines et les anxiétés véritables », illustre Mme Rafman.
Mais en dehors des cas qui témoignent d’un mal-être plus profond, cette phase est tout à fait habituelle et presque tous les parents y ont droit. Vouloir gagner est en effet bien normal, a fortiori dans une société où la compétition est présente partout, et pas seulement dans le jeu : à l’école, dans le sport, etc. Chez certains jeunes, l’instinct de compétition peut par ailleurs être très développé, surtout lorsqu’ils ont des frères et sœurs aînés auxquels ils ont très envie de « se mesurer »!
Quelle attitude adopter?
Pour les parents, la première étape consiste à dédramatiser la situation. Le laisser gagner? Pourquoi pas? Surtout quand il est tout petit… C’est un tel plaisir de le voir heureux! Cependant attention, cela ne doit pas devenir une habitude.
« Ce n’est pas parce que c’est le plus jeune qu’on doit systématiquement le laisser gagner, estime Isabelle Dupuis, éducatrice en milieu familial à Montréal depuis une dizaine d’années. Pour ma part, je rappelle toujours l’objectif principal d’un jeu : le plaisir. Je félicite tous les participants et souligne que tout le monde est gagnant, car tout le monde s’est amusé. »
Son conseil en cas de crise : mettre le mauvais perdant à part et attendre qu’elle passe, pour ensuite discuter calmement avec lui. On peut notamment le rassurer avec des paroles comme : « La prochaine fois, ce sera peut-être toi le gagnant »… Bref, l’objectif principal est d’arriver à éliminer la pression gagnant/perdant qui pèse sur ses épaules.
C’est comme dans la vraie vie!
Autre piste pour couper la poire en deux : faire en sorte que l’enfant « reste dans le jeu » un certain temps sans pour autant le laisser gagner au final. Pourquoi? Parce que perdre, c’est apprendre aussi! L’éducatrice rappelle que ressentir des émotions, négatives comme positives, fait partie de la vie : « On ne peut éviter la déception à son enfant constamment, car c’est aussi grâce à elle qu’il apprend. De plus, que se passera-t-il plus tard, pour celui qui est habitué à ce qu’on le laisse toujours gagner? Le jour où il sera confronté à l’échec, ça risque d’être très pénible pour lui… »
Un point de vue que partage Sandra Rafman : « L’enfant doit comprendre que, dans la vie, on ne gagne pas tout le temps, mais aussi que gagner n’est pas la seule façon d’être bon. Les parents peuvent mettre en avant ses autres succès et qualités personnelles, ou encore expliquer qu’il existe d’autres valeurs dans notre société. »
Et si ça dure?
Au-delà d’un certain âge, soit vers sept ou huit ans, il n’est pas normal que le phénomène se prolonge. Si l’enfant a beaucoup de mal à supporter l’échec, et ce malgré les années qui passent, il faut peut-être s’inquiéter. « S’il se fâche avec ses amis chaque fois qu’il perd ou s’il pleure parce qu’il n’a pas eu un A à l’école par exemple, c’est qu’il met toute la valorisation de soi là-dedans. Il peut être utile alors de consulter un spécialiste, comme un psychologue », conseille Sandra Rafman.
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