Inspirés du retour du Jedi, de Charlie Brown et de la petite sirène (celle qui mourrait à la fin), les Noëls de mon enfance m’accordaient tout le temps du monde pour jouer dans la neige avant que ma mère m’appelle parce qu’elle entendait au loin la musique de Ciné-cadeau. C’était la belle époque, l’époque de Radio Shack et des voitures téléguidées qui avançaient bien, des vrais biscuits faits à partir d’une recette du livre de Five Roses et des forts de neige qui ne murmuraient pas encore les répliques de la Guerre des tuques que j’entendrais ad nauseam plus tard.
Devant chez nous vivait madame Fraser, une vieille dame gentille dont je ne me souviens que très peu du visage parce que chaque fois que j’allais chez elle, je jouais avec une chaussure de verre posée sur son bureau. C’est chez elle que je déménageais quelques heures avec ma petite valise chaque fois que mes parents ne comprenaient rien. C’est aussi elle qui me donnait le seul cadeau emballé à l’ancienne dans un papier presque fait pour emballer la viande qui trainait sous le sapin. Je savais bien que son cadeau ne serait pas très moderne, mais elle avait un sens des priorités qui avait été clairement démontré avec la chaussure de verre de Cendrillon et je savais qu’elle ne me décevrait jamais. Chaque soir, pendant que mes parents écoutaient les nouvelles aventures de Pierre-Elliot Trudeau et de René Lévesque, je tentais de défaire un petit coin de son cadeau, mais en vain. Madame Fraser avait un amour hors du commun pour le papier collant et en mettait beaucoup trop pour qu’on réussisse à trouver un indice.
Il y avait aussi les trois cadeaux pareils de ma tante Évangéline qui avaient toujours la forme d’une boîte de Turtles! Nous avions appris avec les années qu’il ne fallait pas les manger trop vite et que notre frère cacherait ses chocolats pour les protéger des deux gourmandes, ma sœur et moi, qui avions fini notre boîte bien avant l’heure du dodo.
Ces cadeaux, bien empilés sur les cadeaux de nos parents, ceux qu’on brassait chaque fois qu’on passait devant, devenaient une activité en soi et un sujet de conversation incontournable pour les enfants. Malgré les tentatives ratées de ma sœur, nous n’avions pas le droit d’y toucher avant la fin de la messe de minuit, alors que la chorale de Noël représentait tout ce qu’il y avait de plus beau de cette église où nous trouvions habituellement le temps long.
C’était le bon temps.
Ma mère nous appelait pour qu’on vienne écouter la télévision parce qu’elle trouvait que ça faisait trop longtemps qu’on était dehors et nos joues rouges brûlaient quand on entrait dans la maison. « Enlève ton manteau mouillé, tu vas attraper une pleurésie », qu’elle disait. Quand on avait le temps, on lançait les boules de glace collées sur nos mitaines de laine pour entendre le « pssscht » qu’elles faisaient en fondant sur le poêle à bois. Ensuite, on prenait une poignée de biscuits et on allait voir la petite sirène se faire transformer en écume parce que le prince ne voulait pas la marier. Dire qu’on était entrés pour ÇA…
Le 25, on allait aussi chez ma grand-mère et mon grand-père qui avaient eu 14 enfants et qui nous bénissaient chaque année. Ma grand-mère est née en 1897, quelques années après la mort de Billy le Kid, et elle est morte en 2003, l’année de la fondation de Skype. C’est dire si elle en avait des anecdotes à nous raconter, des recettes à nous faire goûter et des recommandations pertinentes! C’était chaque fois son dernier Noël. Elle le disait depuis 25 ans. Mon grand-père était un homme de la nature, adoré par ses filles, qui aimait fumer la pipe en regardant son baromètre qui n’était rien d’autre qu’une branche de noisetier. Avec autant d’enfants dans la maison et de tantes pour nous gâter, on ne s’ennuyait jamais. La maison était énorme et les armoires qui nous étaient normalement interdites se transformaient en cachettes parfaites. Mes oncles parlaient de politique et mes tantes, qui jasaient dans la cuisine, les trouvaient bruyants et riaient très fort de leurs débordements.
Aujourd’hui, depuis le décès de ma grand-mère, la famille est dispersée aux quatre coins de la province et Noël est plus sobre. Toutefois, après des années passées à faire comme tout le monde et me plaindre que Noël est une fête compliquée qui coûte cher, que les magasins sont bondés, que les gens parlent de Noël trop tôt et que toute la planète est mal intentionnée, j’apprends à faire la part des choses.
Le temps des fêtes n'est plus tout à fait pareil, mais j’essaie de voir les choses du même œil joyeux que ma fille. Maintenant, je suis responsable de ce qui deviendra un nouveau chapitre de souvenirs de Noël.
Évidemment, il n’y aura peut-être pas autant de neige qu’avant parce que j’ai bien grandi; ça encourage d’ailleurs ma fille à me casser les oreilles avec le réchauffement de la planète. Ça me rappelle que nous parlions de l’importance du brossage des dents à nos parents, il n’y a pas si longtemps.... Malgré tout, on joue dehors et on fabrique des forts de glace avec des cubes gelés dans des pintes de lait.
Mon Five Roses à moi, ce sont les 1001 blogues de cuisine qui nous mettent l'eau à la bouche et j’essaie plusieurs recettes de biscuits en chantonnant la chanson de Toc, Toc, Toc. Je cherche aussi de bons films de Noël en espérant que Ciné-Cadeau nous montre encore les vieux films d’Astérix. Quand le souper est prêt, j’appelle les enfants en criant trop fort pour qu’ils sortent de la cabane de couvertures et qu’ils viennent manger et je rigole en pensant à madame Fraser quand la voisine (qui parle plus souvent à ma fille qu’à moi) laisse des cadeaux pour les enfants au pas de la porte quelques jours avant Noël.