Depuis que je suis père de famille, certains de mes goûts se sont métamorphosés. Au fil des années et à mon insu, plusieurs choix se sont imposés par la force des choses. Ainsi, j’ai troqué les films de répertoire européen de réalisateurs aux noms imprononçables au profit des films animés des géants américains. J’ai également converti mon statut de dégustateur d’ailes de poulets Buffalo pour celui de gourmet du brocoli vapeur. De plus, je n’aurais jamais suspecté qu’un jour, je préférerais l’utilité d’une fourgonnette aux attraits des rutilants bolides sport décapotables. Certes, avec une famille, les besoins influencent considérablement nos préférences, mais je considère quand même bizarre qu’Halloween soit devenue la journée que je préfère d’entre toutes.
Souvenirs
Dans ma jeunesse, je détestais pourtant cette fête avec acharnement. Ma réticence envers toute forme de maquillage combinée à ma timidité et à mon refus de déambuler dans un accoutrement ridicule n’ont en rien contribué à me faire apprécier l’événement. J’exécrais les masques de plastique de l’époque, ceux qui, munis d’une ficelle élastique, brisaient dès le début du parcours. J’entretenais une haine farouche envers les voisins qui m’humiliaient parfois en me demandant de fredonner des comptines en échange d’une poignée de nananes. Je considérais comme hypocrites les résidants qui simulaient leur absence afin de ne pas contribuer à ma cueillette. Je ne peux passer sous le silence les agissements de ma grande sœur qui se proclamait trop vieille pour faire la cueillette de bonbons, mais qui ne se gênait pas pour décimer mon butin. Pour ajouter à mon malheur, j’avais horreur du potage à la citrouille que ma mère m’imposait les semaines suivantes.
Aujourd’hui
Je me suis réconcilié avec la nuit des masques lorsque mon aîné était un jeune poupon. Quelle fierté je ressentais de pouvoir le parader dans son costume d’abeille sous les exclamations ébahies du voisinage. Son joli minois rapportait une véritable avalanche de friandises sucrées. Le gamin étant trop jeune pour bénéficier de la manne, je profitais du butin sans même avoir à me déguiser. Quelle joie! J’admets être un adepte fini de la gratuité sous toutes ses formes. En effet, je suis un fervent de l’échantillon promotionnel, du test de goût en magasin et du banc d’essai. Pour moi, l’Halloween se veut la journée officielle pour célébrer la gratuité dans toute sa splendeur.
Désormais, j’entretiens la tradition du 31 octobre avec un sens de la fête hors du commun. Muni d’une perceuse et de quelques lames affilées, je me suis découvert de véritables talents dans l’art de sculpter une citrouille. Avant même que le soleil cède sa place à la nuit, notre quintette se lance à l’abordage et donne le coup d’envoi de la collecte de bonbons dans le quartier.
Équipé d’un chariot et d’une remorque, nous accumulons nos victuailles sucrées jusqu’au bout de nos forces. Complètement méconnaissable sous mon déguisement de tueur en série – eh oui, je me déguise maintenant! —, je profite de chaque arrêt pour zieuter l’intérieur des maisons et satisfaire ma curiosité de voisin. L’état des lieux, à ce moment précis, influence d’ailleurs ma perception des résidants pour toute l’année à venir.
Montagne de friandises!
Mais le moment le plus exaltant réside dans l’appréciation de notre butin au retour à la maison. Après avoir fait chanter quelques adolescents en échange d’une poignée de bonbons (j’avoue, je suis devenu bourreau après avoir été victime), je simule hypocritement notre absence afin de ne plus être dérangé (si c’est bon pour les autres…). Ensuite, j’ensevelis littéralement les enfants sous la tonne de friandises accumulées, à leur plus grand bonheur. Suit alors une séance de triage intensif qui m’avantage scandaleusement compte tenu de mon intérêt avoué pour les tablettes de chocolat.
Pour conclure la soirée parfaite, je réussis à convaincre les enfants de se mettre rapidement au lit. Ma recette? Je les menace de leur servir mon fabuleux potage à la citrouille, bien sûr!