La pression vient d’abord de nous!
Tous les parents vous le diront : on veut le meilleur pour nos enfants et ça n’a rien de bien surprenant. Il arrive cependant parfois qu’on ressente « ça » au fond de nous. Pour avoir moi-même vécu cette espèce de pression qu’on a tendance à se mettre sur les épaules, j’ai senti le besoin d’en discuter avec certains parents adoptants : « Est-ce que vous sentez que vous vous mettez un peu plus de pression que la moyenne en ce qui concerne le développement et l’éducation de votre enfant? » J’ai vu des parents me sourire en haussant les épaules bien candidement. Bon, ça se pourrait… Je ne suis pas seule sur ma planète nommée Prouve-que-t’es-un-bon-parent!
Serait-ce possible qu’inconsciemment (ou pas), les parents adoptants se mettent un peu plus de pression concernant le développement et l’éducation de leur enfant? En formation pré-adoption, on nous parle souvent que ces petits du bout du monde risquent d’avoir des retards de développement qui se rattrapent somme toute facilement par de la stimulation et une présence de qualité auprès de l’enfant. Quelle belle porte ouverte à la pression pour des gens qui souhaitent que leur enfant ne subissent pas les contrecoups des difficultés vécues dans son passé pas si lointain! Après tout, nous avons été évalués au niveau de nos capacités parentales. Un psychologue nous a jugés aptes à nous voir confier un enfant qui allait avoir des besoins particuliers. On n’est quand même pas pour manquer notre coup!
Le suivi médical
Marie-Félix
Ma petite Marie-Félix était en bonne santé à son arrivée au pays. Quelques petits « bobos » tout ce qu’il y a de plus commun dans les circonstances : nous lui avions administré trois traitements contre la gale, car elle en était couverte de la tête aux pieds. Elle avait une otite, faisait de l’eczéma et son pédiatre nous a mentionné que sa peau, plus fragile que la moyenne, devait avoir une attention particulière. Pas de problème, Docteur! Armée de la collection de toutes ces crèmes pour peau sensible, des onguents prescrits et d’une volonté inébranlable, je me suis dit que je ferais de cette peau irritée, une peau de pèche. C’est pas mal ce qui s’est produit d’ailleurs. L’avantage, en Amérique c’est qu’à peu près n’importe où on a accès à ce qu’il faut pour guérir à peu près n’importe quoi.
Puis Marie-Félix a grandi, les rendez-vous médicaux de routine sont arrivés, les commentaires des autres parents également : « Est-ce qu’elle se tourne sur elle-même? » (Imaginez ici un regard interrogateur derrière des lunettes et un sarrau blanc). « Euh… ben… pas encore, mais je sens que ça s’en vient… ». Personne ne peut vous le reprocher à vous, bien entendu. Mais on décode le non verbal. Elle a presque 6 mois et n’a pas commencé à se tourner du dos au ventre! Bien entendu, elle ne s’assoit pas seule non plus.
Un mois plus tard, les questions continuent de fuser « Pis, est-ce qu’elle s’assoit seule maintenant? Le mien, à 6 mois, c’était réglé. Mais tu sais, tous les enfants ont leur rythme, faut pas trop s’en faire. » (Merci pour le doute!). Et puis VLAN! On ajoute : « Sais-tu s’il y a des problèmes de santé à ce niveau chez ses parents biologiques? Tu sais, tout à coup qu’il y a un problème génétique et que…. que….. Bah… elle a l’air en santé, inquiète-toi pas trop avec ça… » Oubliez ça! Je m’étais mise à m’imaginer que son père avait peut-être des problèmes de santé héréditaires. Je l’imaginais à 2 ans, peinant à marcher. Son pédiatre m’a dit que ce n’était pas « encore trop inquiétant » et que si dans 2 mois elle n’arrivait toujours pas à s’assoir, il nous ferait voir un spécialiste.
Une fois de retour à la maison, vous devinerez bien que j’ai sauté sur le bottin téléphonique pour contacter tous les chiropraticiens, ergothérapeutes et physiothérapeutes de mon secteur! Mon but était fort louable : je voulais simplement m’assurer que « tout était en place » pour que le développement de ma fille se poursuive, même si c’était à retardement. Bonne nouvelle, tout était là, ce n’était qu’une question de temps.
Lâcher-prise tout en faisant de son mieux
Marie-Félix
Un jour, au volant de mon auto, ma fille à l’arrière dans son petit siège d’auto, alors que nos regards se sont croisés dans le rétroviseur, je me suis trouvé un peu « nounoune ». J’ai réalisé à ce moment-là que je m’en mettais pas mal sur les épaules. Qu’est-ce que je voulais prouver et à qui? Aujourd’hui, Marie-Félix a presque 14 mois. Elle est constamment debout à la maison, fait de plus en plus de tentatives pour marcher, tombe et se relève en souriant. Elle grimpe les escaliers à quatre pattes et se déplace très rapidement de cette même façon. Ça aurait pu être plus difficile pour elle, mais ce n’est pas le cas.
Marie-Félix
Ma fille est en bonne santé et j’en suis reconnaissante. Ce ne sera pas le cas de tous les enfants adoptés, mais, quelque part, mis à part faire notre possible, que pouvons-nous nous imposer d’autre? Rien. Comme tous les autres parents de cette planète, on souhaite le meilleur pour nos enfants. Ya un bout qui nous appartient et ya un bout qu’on doit apprendre à accepter si le destin le veut ainsi.
Les attentes et la réalité
Je sais que, dans l’ordre normal des choses, la garderie à temps plein fera partie du quotidien et qu’un jour, ce sera au tour de l’école d’entrer dans la vie de ma fille. Je suis beaucoup plus détendue aujourd’hui. Je ne veux évidemment pas que ma fille manque de quoi que ce soit, je veux qu’elle ait accès aux meilleurs services, à une bonne éducation avec de bons enseignants, mais est-ce que ça implique nécessairement d’envoyer ma fille dans une école privée, ultra spécialisée qui promet de faire d’elle un petit génie? Pas du tout. Ma fille a ses propres couleurs et ses propres intérêts que j’encouragerai toujours.
Mais depuis mon fou rire quant à ma réaction face à son léger retard de développement, j’ai choisi de doser. Il y a quelque chose qu’un formateur a déjà dit lors d’une formation en adoption à l’international qui m’est resté en tête. C’était au sujet de ce mythe que les enfants asiatiques ont une intelligence supérieure à la moyenne. Et laissez-moi vous dire que ce mythe est très répandu, car beaucoup de gens de mon entourage m’ont dit que Marie-Félix allait trouver ça facile à l’école, car les enfants asiatiques sont très intelligents. Elle pourrait ainsi faire n’importe quoi dans la vie. Chaque fois, je leur parle de la théorie mentionnée en formation et ça vient légèrement dégonfler la « balloune » : les enfants asiatiques au Québec sont, pour une grande majorité, des enfants adoptés, on s’entend là-dessus…
Ce qui a été démontré, c’est que cette croyance populaire est tellement ancrée que quelques parents se font parfois prendre au piège, se mettent beaucoup de pression et bien malgré eux et pour leur donner accès au meilleur, placent leur enfant dans un contexte d’apprentissage intense : des cours de ballets, de piano, de karaté, de natation, puis une inscription dans une école où ils pourront apprendre simultanément plusieurs langues tout en ayant un volet artistique, sportif et culturel très présent. Il arrive alors que la pression se crée, s’installe et l’enfant décode parfois qu’il a intérêt à ne pas décevoir ses parents qui croient en lui, de peur d’être « rejeté » de nouveau. La base est distordue et tout le monde se retrouve avec une pression incroyablement indigeste.
Loin de moi l’idée de blâmer qui que ce soit. Je crois sincèrement que les parents connaissent mieux que quiconque leur enfant. L’important, je crois, est de garder en tête l’impact possible de ses choix sur un enfant adopté.
Chantal Massicotte, maman d'adoption
En plus d’être maman d'une petite fille d'origine vietnamienne, je suis technicienne en travail social spécialisée en employabilité et en réinsertion sociale. Je suis également « marraine » en adoption à l'international, fonction par laquelle je suis amenée à aider, supporter et conseiller les futurs parents qui me sont recommandés dans toutes les étapes de leur projet pour la région du Bas-Saint-Laurent. Vous pouvez également suivre mon parcours sur mon blogue.