Chaque fois que je dis ça en conférence, il se trouve toujours une hygiéniste dentaire dans la salle pour m’expliquer gentiment que ce n’est vraiment pas compliqué de passer le fil dentaire et que cela rentre facilement dans la routine et blablabla.
Voyez-vous, il ne s’agit pas du temps que ça prend; ni de la complexité du geste. Il s’agit d’affirmer que dans la liste des 792 items à cocher chaque jour, ma compétence de parent s’exprime dans les choix que je fais. Cette liste est impossible à réaliser au complet. Tous les dictats nous sont proposés sur le même pied : totalement et terriblement importants. Tout est « essentiel au bon développement de votre enfant ».
Ce qui a du sens
Il est grand temps que nous sortions toutes de notre placard pour dire haut et fort que les parents doivent choisir ce qui est le plus important pour eux dans cette liste et laisser faire le reste. Ce n’est pas que la soie dentaire n’est pas importante. C’est que nous devons tous et toutes faire des choix et prioriser certaines choses et que la soie dentaire n’a simplement pas fait partie de mes priorités.
Au lieu de faire semblant de pouvoir réaliser toutes ces choses qu’« il faut absolument faire », et s’épuiser dans l’isolement avec le sentiment que tout le monde y arrive sauf nous, ne vaudrait-il pas mieux avoir une bonne réflexion sur ce qui est possible pour nous, ce qui a du sens pour nous et ce que notre organisation de vie familiale nous permet de faire?
Il fut un temps où les enfants étaient dans une sorte de salle d’attente de la vie; ils n’étaient pas des personnes. Ils étaient des « pas encore adultes ». Alors, bien sûr, la job de parent était bien différente de celle d’aujourd’hui. Du moment que les enfants étaient en santé, tout était parfait! Les états d’âme, les étapes de développement, l’estime de soi… rien de cela n’avait d’intérêt. Chacun faisait de son mieux et personne n’aurait songé à reprocher leur silence à tous ces pères du bout de la table ou le chantage émotif des mères assises juste à côté.
Aujourd’hui, nous sommes à l’autre bout du spectre et l’on surveille les pensées de la mère pendant la grossesse...
Établir sa propre liste
Tous ces experts pleins de bonne volonté qui nous indique les choses « vraiment importantes » pour le développement de nos enfants n’ont aucune idée de notre vie. Sommes-nous en couple ou seule? Si nous sommes séparés, avons-nous la garde complète? Une semaine sur deux? Une fin de semaine sur deux? Travaillons-nous tous les deux ou pas? Ai-je un enfant ou trois ou quatre ou cinq? Quel genre d’horaire de travail avons-nous? De quel genre de revenu disposons-nous? Comment je m’arrange, côté garderie? De quelle quantité d’énergie est-ce que je dispose? Ce sont sur ces critères que nous devons établir notre liste de choses à faire pour soutenir le développement de nos enfants. Et certainement pas sur la liste de spécialistes qui n’ont aucune idée de ma vie.
Il ne s’agit pas d’un problème de gestion du temps. Il ne s’agit pas de négligence ou de mauvaise hygiène de vie. Il s’agit de dire merde à la surveillance et l’évaluation perpétuelles de l’establishment éducatif à l’égard des parents.
Il s’agit de décider de ce qui nous apparaît nécessaire de faire parmi les centaines de choses qui s’alignent sur la liste sans fin destinée aux parents.
Ne pas oublier le plaisir
J’ai été ferme et cohérente dans mes interventions le plus souvent possible. Rien que cela demande une telle quantité d’énergie! J’ai fait des erreurs et j’ai essayé autre chose chaque fois que j’ai pu. Il y a plein d’autres fois où je n’ai pas su quoi faire et j’ai simplement fait de mon mieux. Et c’est suffisant.
J’ai fait des choix sans toujours être certaine que c’était les bons. Mais c’est ça aussi être un parent : assumer pleinement la responsabilité de mon rôle. Et j’ai choisi, entre autres, de mettre mon temps et mon énergie ailleurs que sur la soie dentaire. Pas parce que ce n’est pas important, mais parce que tel était mon choix dans ce qui était possible pour moi.
J’espère de tout mon cœur que vous avez choisi vous aussi ce qui vous importait le plus et ce qui était possible pour vous dans cette liste. J’en rencontre tellement qui nourrissent un sentiment d’incompétence écrasant devant leur incapacité à rester dans la course sans fin pour faire « tout ce qu’il faut faire ». C’est en train de tuer le meilleur de nous : le simple plaisir d’être parents.
Publication initiale le 28 mars 2018