Pendant que la petite racontait sa tristesse à propos d’un échange de mots blessants dans la cour d’école, les larmes coulaient sur ses joues rondes; et sa mère, le cœur brisé par son chagrin, l’écoutait avec attention et compassion. Elle l’écoutait sans l’interrompre, ni la bombarder de questions, ni l’empêcher de parler en la serrant dans ses bras. Elle lui tenait la main avec ses deux mains, sans la quitter des yeux.
Puis, à la fin du récit, la petite s'est blottie dans les bras accueillants et aimants de sa mère. Quel puissant acte de parentage! Et je savais tout ce que ça lui demandait de retenue, et de respect pour sa fille, pour ne pas la couvrir de ses bras en déversant des tonnes de mots rassurants. Pour que la peine cesse. Tout de suite. Maintenant.
On ne veut pas une seule seconde de tristesse pour nos enfants. Alors on s’agite beaucoup pour l’éviter. C’est sans doute parce qu’on oublie combien la tristesse est précieuse et utile aux humains.
La tristesse, un sentiment
La tristesse n’est pas la dépression. Ni la détresse. Ni la fin de tout. Elle n’est ni traumatisante ni dévastatrice. La tristesse est simplement un des sentiments du vaste spectre affectif des humains. Elle fait partie de la vie, comme tant d’autres choses. Chaque fois que nous nous précipitons et déployons des trésors d’imagination pour éviter la tristesse des enfants ou la faire cesser, nous sommes en train d’apprendre à nos enfants qu’il ne faut pas ressentir de tristesse. Qu’il nous faut l’éviter à tout prix.
Une idée erronée qui ne sera pas sans impact sur le reste de leur vie.
C’est comme pour les verres de lait renversé : si nous réagissons avec beaucoup d’agitation à chaque dégât, l’enfant se sentira vraiment mal d’en renverser un à son tour, tout simplement parce qu’on lui aura appris que renverser un verre de lait est grave, étant donné la réaction de son parent. C’est la même chose avec la tristesse; quand nous faisons tout ce que nous pouvons pour l’éviter à nos enfants, nous leur apprenons que la ressentir est une entorse grave à la normalité.
Ils grandiront, prendront des décisions et feront des choix en n’oubliant pas d’éviter la tristesse. Si jamais ils la ressentent, comme cela ne manquera pas d’arriver, peut-être croiront-ils qu’ils ont échoué et ne sont pas à la hauteur.
De l'espace
Jusqu’où peut-on aller pour ne pas ressentir la tristesse? Très loin. Nous connaissons tous et toutes des personnes qui s’agitent beaucoup pour ne pas vivre ce genre de sentiment... la tristesse, l’ennui, le regret, le doute. Peut-être est-ce ainsi que la simple tristesse normale prend parfois des proportions démesurées chez certaines personnes. Étant donné la « gravité » dont elle aura été investie, on ne s’étonnera pas qu’elles ne parlent pas de cette tristesse honnie ni ne la manifestent. Dans l’isolement et le silence qui s’installent ainsi, la tristesse aura toutes les chances de se transformer en détresse.
Ce qui soulage la tristesse, ce n’est pas une bonne blague ou un détournement d’attention. Ce qui soulage, c’est d’avoir un espace où nous puissions être simplement nous-mêmes, tristes pour l’instant. Sans suggestions, sans remèdes imposés, sans conseils non sollicités, ou analyse inutile.
C’est la même chose pour les enfants. Sauf qu’en plus, ils sont en train d’apprendre ce qu’on doit faire avec l’inconfort de la tristesse: la reconnaître, la nommer, la vivre en ne doutant pas un seul instant qu'elle passera. Elle passe toujours.
Laisser vivre la tristesse est essentiel à notre humanité, qu’on ait 3 ans ou 83 ans. Elle nous force à nous arrêter; elle nous transmet des informations importantes sur nous-mêmes, nos limites, nos besoins, nos désirs. En nous poussant à chercher le réconfort, elle nous apprend à demander de l’aide quand on en a besoin.
Empathie
La tristesse ressentie nous permet également de développer notre compassion envers nous-mêmes, mais aussi notre empathie envers la prochaine personne que nous croiserons et qui sera triste. Est-ce que ce n’est pas tout cela qu’on veut pour nos enfants?
Le comportement de cette jeune mère avec sa fille m’a profondément émue. Parce que chacun et chacune de nous sait combien il est difficile de voir un enfant avoir de la peine, n’importe lequel. Quand ça devient intolérable, c’est notre propre capacité à vivre l’inconfort de la tristesse qui est en jeu. Pas celle de l’enfant. Notre propre conviction qu’on doit tenter de l’éviter le plus possible prend toute la place.
Sans doute nous faut-il apprendre à vivre notre propre tristesse si l’on veut pouvoir apprendre à nos enfants qu’elle est normale, qu’elle passe toujours et que tenir la main de quelqu’un aide beaucoup