Jean-Marc
Un soir d'octobre, il y a presque 25 ans, Jean-Marc a reçu un appel affolé de la mère de son fils. Séparé d'elle depuis que le petit Jimmy avait 3 mois, et malgré le fait que la mère ait obtenu la garde complète comme il était de coutume à l'époque, Jean-Marc a travaillé fort et réussi à maintenir un contact constant et signifiant avec son fils au fil des années.
Jean-Marc savait bien que son fils consommait un peu de pot de temps en temps mais, ce jour-là, le plancher s'ouvre sous ses pieds. Une amie de Jimmy leur apprend qu'il est en fait héroïnomane et qu'il a disparu dans les rues de Toronto. Marc n'a pas hésité une seconde, fait les cinq heures de route d'une traite et, avec la mère de son fils, a écumé les ruelles et les piqueries de Toronto pendant huit jours et huit nuits.
Au matin du neuvième jour, épuisé, défait et désespéré, il a finalement retrouvé son fils de 19 ans roulé en boule au fond d'un squat, sans pouvoir dire s'il était mort ou vivant. Jean-Marc l'a soulevé dans ses bras comme il l'avait fait si souvent autrefois quand le petit s'endormait sur le sofa. Peut-être que c'est cette image qui lui est revenue, debout au milieu du chaos et de la souffrance humaine. À cet instant précis, je crois bien que rien ni personne n'aurait pu l'empêcher de le ramener à la maison. Et la route a été longue... Jimmy n'a plus jamais touché à la drogue.
À 45 ans, il est aujourd'hui le père de trois enfants.
Patrick
Patrick avait à peine trente ans quand l'amour de sa vie a donné naissance à leur premier bébé. Un couple comme tant d'autres, gonflé de bonheur et d'espérance. Un jeune papa émerveillé comme tant d'autres. Mais au quatrième jour, l'amour de sa vie est tombée gravement malade. Hospitalisée, la jeune maman recevait des doses massives de médicaments qui l'empêchaient d'allaiter et de s'occuper du bébé.
C'était l'époque où les pères retournaient travailler après avoir utilisé deux ou trois jours de leur banque de congés de maladie. Mais pour Patrick, l'histoire allait être très différente. Sans se poser de questions il a plongé dans la paternité tête la première, dans un mélange d'amour fou pour son bébé et de terreur à l'idée de perdre son amoureuse. Pendant les cinq semaines qu'a duré l'hospitalisation de la jeune maman, il arrivait à l'hôpital avec son bébé à 7h00 le matin et repartait à 22h00. Chaque jour. Malgré les nuits blanches ; malgré l'inquiétude et les doutes que tous les nouveaux parents connaissent. Malgré la peine et la fatigue.
Il a laissé tomber tout le reste pour que son bébé et son amour puissent être ensemble. Et lui, avec eux.
Max
Max avait prévu d'avoir quatre enfants avec son amoureuse. Mais la confirmation de la trisomie 21 du plus vieux est arrivée en même temps que la naissance du deuxième enfant. Et ça a été la fin du projet de grande famille. Des centaines de rendez-vous dans les années qui ont suivi sa naissance. Pas une semaine sans quelque chose à régler, à apprendre, à ajuster, à s'inquiéter.
Max aussi avait des rêves de carrière et ses talents lui permettaient d'espérer beaucoup de satisfaction professionnelle dans l'avenir. Mais Max ne s'est pas penché longuement sur la question ; il a simplement fait tout ce qu'il fallait faire pour son fils. Il a rencontré les éducatrices du CPE je ne sais combien de fois. Pour les supporter, les instruire, les encourager. Il a même siégé sur le conseil d'administration puis sur le CE de l'école.
Quand le petit est entré à la maternelle, il a encore passé de longues heures en discussion avec la direction de l'école, les services de garde scolaire, l'enseignante. Pour que son enfant soit admis en première année, il a encore passé des heures en discussion et en recherche d'aménagement. Lui, d'un tempérament si doux, a levé le ton sérieusement dans le bureau d'un directeur d'école qui prétendait que son fils nuirait à tout le monde dans une classe régulière.
Durant les neuf dernières années, sans relâche, il a argumenté, questionné, réfléchi, cherché des solutions, tempêté, s'est calmé... et a recommencé. Avec le CLSC, avec le CRDI (Centre de réadaptation en déficience intellectuelle), avec l'école, avec les services de garde, avec les autres parents. Il a connu bien des nuits d'inquiétude et des matins de découragement. Il a pleuré parfois. De rage, de chagrin, de fatigue. Mais ce matin, pareil au 3217 matins qui se sont enchaînés depuis la première fois qu'il a tenu ce petit bout d'homme, Max a souri et l'a serré dans ses bras en lui murmurant à l'oreille Hey! Mon champion! Chus tellement content que tu sois là!