Mais je me souviens de l'avoir fait. Sans doute pour préserver mon image de mère parfaite (j'aimais tellement sentir leur vénération à mon endroit!) ou alors pour ne pas avoir à admettre une de mes si nombreuses contradictions que les enfants ont tant de talent à pointer du doigt. Ça ne devait pas être bien dramatique comme mensonge. Mais cela change-t-il quelque chose ?
Je lui avais raconté un bobard et cinq minutes après, j'étais allée la voir dans sa chambre pour lui dire que je venais de mentir et rectifier la chose. Je le lui ai dit le plus simplement du monde, sans me justifier ni présenter 45 minutes d'explications. Simplement, Ce que je t'ai dit tout à l'heure n'est pas vrai. Je suis désolée d'avoir menti. Voici ce qui est vrai...
Si le mensonge n'était pas si grave et que ma fille n'avait que 7 ans, pourquoi donc aller présenter mes excuses? Si j'avais gardé le silence, sans doute ne se serait-elle jamais rendue compte que j'avais menti et j'aurais gardé mon auréole un peu plus longtemps. Franchement, je ne sais pas ce qui m'a poussée à y aller. L'intuition que la vérité nous libère et que les mensonges nous enchaînent? Je ne suis pas certaine, mais j'ai suivi mon cœur, pas de doute. Je n'ai plus jamais repensé à cet incident et nous n'en avons jamais reparlé. Jusqu'à il y a quelques semaines.
J'étais dans la cuisine et ma fille, de 22 ans aujourd'hui, jasait dans le salon avec des copines à propos d'un malentendu qui les avait séparées pendant plusieurs jours et qu'elles avaient résolu finalement ce jour-là. Et alors, je l'entends raconter l'anecdote du mensonge, que j'avais moi-même complètement oubliée.
De voir ma mère reconnaître son erreur, ça m'a profondément marquée. Je ne me souviens même pas à propos de quoi elle avait menti. Je me souviens seulement de la voir là, devant moi, rectifier les faits et s'excuser d'avoir menti. Bien sûr, je n'arrivais pas à mettre de mots là-dessus à l'époque. Mais aujourd'hui je sais que j'avais été frappée d'admiration pour elle. Il y avait tant d'humilité et de dignité dans son geste! Et ça rayonnait jusqu'à moi, ça me pénétrait. Je me souviens de m'être dit que je voulais être comme elle à ce moment-là, capable de faire ça. Et c'est ce que j'essaie de faire le plus souvent possible...
Combien de gestes posons-nous ainsi chaque jour auprès de nos enfants, aussitôt oubliés parce qu'on les croit sans importance? Des milliers d'actions et de regards qui transmettent ce qui nous importe vraiment. On pense à tort que notre autorité parentale se déploie dans les grands moments de crise. On s'imagine que notre autorité parentale doit présenter une surface lisse et sans taches et que c'est cette perfection qui transmet le meilleur de nous-mêmes.
Mais, non. Les enfants trouvent tout seuls le meilleur de nous-mêmes. L'exercice de l'autorité parentale, ce sont toutes les fois où nous avons fait ce qui nous semblait juste; ces petites interventions vite passées qui se déposent doucement les unes sur les autres et finissent par former le fond de la rivière fougueuse de leur vie.
Publication initiale juin 2016