Pour les parents, l’augmentation des pleurs souvent inconsolables de leur nourrisson durant les premiers mois peut être une expérience frustrante et stressante. Mieux comprendre l’origine de ces pleurs pourrait être l’élément clé qui les aidera à maîtriser cette situation et à adopter des comportements appropriés pour promouvoir le développement socio-affectif de l’enfant.
À un stade du développement où les nourrissons sont presque entièrement dépendants des autres pour satisfaire leurs besoins, pleurer est leur principal moyen de communication. Puisque pleurer suscite des soins, les pleurs jouent un rôle dans le développement de la relation d’attachement. En effet, le nouveau-né s’attache à la personne qui répond à ses pleurs de la façon la plus constante.
Bien que la quantité et la qualité des premiers pleurs varient beaucoup, plusieurs études ont démontré que leur fréquence croît généralement pendant les 3 premiers mois et atteint son apogée autour de 6 à 8 semaines. Puis, les pleurs deviennent considérablement moins fréquents vers 3 ou 4 mois. Cette diminution coïncide avec d’importants changements développementaux aux niveaux affectif, vocal et moteur.
Deux types de pleurs
La Dre Cynthia A. Stifter, de l’Université de Pennsylvanie, distingue deux types de pleurs excessifs. Les pleurs excessifs, persistants et sans raison apparente qui surviennent au cours des 3 premiers mois chez un nouveau-né en bonne santé. Ces pleurs, appelés « coliques du nourrisson », touchent environ 10 % de la population. L’autre type est celui des pleurs des nourrissons au tempérament difficile. Ces bébés s’agitent ou pleurent pendant de plus courtes périodes, mais sont difficiles à apaiser et irritables durant les premières années.
Même si à court terme les coliques ont un effet néfaste sur le stress que peuvent vivre les parents, il semble que la relation parent-enfant se réajuste lorsqu’elles disparaissent. Par contre, bien des nourrissons au tempérament difficile montrent certains problèmes pendant l’enfance et l’adolescence, dont des troubles de l’attention, du comportement et d’apprentissage.
La relation parent-enfant
En fait, les données indiquent que s’occuper d’un bébé irritable et difficile à calmer met à l’épreuve la relation parents-enfant. Par exemple, les mères de nouveau-nés au tempérament difficile sont moins sensibles et montrent moins de comportements maternels positifs que les autres. La Dre Debra M. Zeifman, du collège Vassar, note que dans de tels cas, des interventions précoces centrées sur la sensibilité parentale s’avèrent efficaces pour améliorer le développement de l’enfant.
Pour sa part, le Dr Philip Sanford Zeskind, du Carolinas Medical Centre soutient que la combinaison des pleurs du nourrisson et des caractéristiques de l’adulte détermine la réaction du donneur de soins qui aura une incidence sur le développement psychosocial de l’enfant. « Les pleurs sont comme une sirène biologique, un signal qui alerte et motive le parent à répondre aux besoins du bébé », ajoute-t-il.
Les nouveau-nés qui risquent de souffrir de difficultés psychosociales à cause de problèmes prénataux (lésions cérébrales, malnutrition, asphyxie et toxicomanie pendant la grossesse) ont souvent des pleurs excessivement aigus (hyperphoniques). Ce type de pleurs a des bons et des mauvais côtés. Certains parents font tout en leur pouvoir pour calmer les pleurs de leur nourrisson et leur offrent par la même occasion une stimulation auditive, visuelle et tactile qui favorise leur développement. Cependant, d’autres réagissent de façon défensive et adoptent un comportement nocif au bien-être du bébé. Cela peut, dans certains cas extrêmes, se traduire par des actes de violence physique ou de négligence.
Une étude a révélé que les mères adolescentes, les femmes dépressives ou celles ayant consommé de la cocaïne pendant leur grossesse perçoivent les pleurs de plus en plus aigus comme étant peu alarmants et ne nécessitant pas de réponse immédiate. « Afin d’aider les parents à mieux gérer les pleurs excessifs, nous devrions être conscients des différentes tonalités des pleurs et de la réaction qu’ils peuvent susciter chez certaines mères, surtout celles souffrant de dépression ou d’autres conditions qui pourraient altérer leur perception », conclut le Dr Zeskind.
La cause des coliques
Même les bébés en santé pleurent pendant de longues périodes sans raison apparente. Les parents ont alors souvent l’impression de perdre le contrôle et plusieurs croient que les pleurs sont un signe que quelque chose ne va pas. Pour complexifier le problème, certaines publications populaires donnent des conseils contradictoires.
En revanche, le Dr Ian St James-Roberts, de l’Université de Londres au Royaume-Uni, soutient que même si par le passé les pleurs excessifs, ou coliques, étaient attribués à un problème gastro-intestinal, des recherches plus récentes sont venues nuancer cette théorie. En fait, les problèmes organiques surviennent rarement, c’est pourquoi un diagnostic juste est important. Les traitements diététiques, tel qu’éliminer le lait de vache de l’alimentation de la mère, ne sont pas encore suffisamment éprouvés et peuvent amener les femmes à cesser d’allaiter, ce qui va à l’encontre des politiques en matière de santé publique.
En ce moment, les recherches sur la cause des pleurs se concentrent sur les changements au niveau du développement neurologique pendant la petite enfance. Une étude dirigée par le Dr Ronald G. Barr à Montréal sur la durée, la fréquence et l’intensité des pleurs chez des bébés de 6 semaines et de 5 mois a conclu que même si les pleurs intenses, prolongés et incontrôlables sont propres aux premiers mois et plus communs chez les nourrissons souffrant de coliques, ils ne sont pas uniquement observables chez ceux-ci. « Pour mieux comprendre les coliques, nous devrions nous attarder à ce qui cause la prolongation de ces pleurs plutôt qu’à leur élément déclencheur », expliquent les chercheurs.
Les coliques ou les pleurs incontrôlables qui surviennent pendant les premiers mois font partie du développement normal du bébé. Cette nouvelle constatation signifie que les conséquences sociales et affectives des pleurs dépendent largement de la façon dont les personnes qui en prennent soin les interprètent et y répondent.
Dépression chez la mère
Les pleurs excessifs posent un problème particulier chez les femmes qui souffrent de dépression postpartum. Cette forme de dépression, qui touche de 10 à 20 % des mères, peut compromettre le développement social, affectif et cognitif du nourrisson. Elle survient généralement pendant les 3 mois suivant l’accouchement, ce qui correspond à la période où les pleurs du bébé sont à leur intensité maximale.
Devant de telles circonstances, le Dr Tim Oberlander, de l’Université de la Colombie-Britannique s’interroge : « Si les pleurs du nouveau-né constituent un signal sensé faire réagir la mère, quelles sont les conséquences lorsqu’ils sont ignorés ou mal interprétés par la mère dépressive? ».
Des études préliminaires indiquent que les nouveau-nés de mères dépressives pleurent plus souvent que les autres et que la dépression postpartum peut empêcher la mère de comprendre le signal du bébé et d’y répondre adéquatement. Les pleurs pourraient d’ailleurs avoir un effet négatif sur l’humeur de la mère. Selon le Dr Oberlander, les pleurs du nourrisson peuvent être un élément à considérer dans l’intervention auprès des mères dépressives. Ces interventions pourraient aider ces femmes à concevoir pourquoi leur nourrisson pleure. « Comprendre pourquoi certaines mères qui souffrent de dépression postpartum sont incapables de répondre de façon appropriée à leur bébé pourrait être un élément clé des plans d’intervention visant la promotion de la santé et du développement des nourrissons. »
Information et soutien
Finalement, ce qui détermine le développement socio affectif de l’enfant à long terme est la façon dont les parents interprètent et répondent aux pleurs de leur nourrisson, plutôt que les pleurs eux-mêmes. « La plupart des bébés qui pleurent beaucoup sont en santé et cessent de pleurer spontanément », affirme le Dr St James-Roberts. La plupart des recommandations consistent donc à donner aux parents l’information et le soutien nécessaires pour les aider à contenir ces pleurs.
La Dre Liisa Lehtonen, de l’hôpital universitaire Turku en Finlande, conclut qu’il peut même y avoir un côté positif aux pleurs : « Si on expliquait aux parents que pleurer est un signe de vigueur, de santé et de robustesse, ils pourraient voir le bon côté des choses : en pleurant beaucoup, leur bébé peut peut-être obtenir, en exprimant sa faim, une plus grosse portion de nourriture et s’attirer davantage l’attention de ses parents qu’un nourrisson tranquille. »
par Eve Krakow
Informations
Tremblay RE, Barr RG, Peters RDeV, éds. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants – Pleurs. Montréal, Québec : Centre d’excellence pour le développement des jeunes enfants. Disponible sur le site ou en version PDF.