La nouvelle
Tout allait bon train. 30 ans, belle carrière, nouvellement mariée et enfin… j’étais enceinte. Je me mariais en juin et au mois d’août suivant, je découvrais que nous attendions notre premier enfant. J’en ai rêvé depuis si longtemps. Vous savez ce petit être que l’on va cajoler, chérir et aimer plus que tout. Je rêvais de le tenir tout contre moi en tout temps : devant la télévision, en faisant la vaisselle, en dévalant les rangées d’épicerie, etc. En fait, je savais que je ne voudrais jamais m’en séparer.
Les rendez-vous chez le médecin révélaient que j’avais un bébé en santé, son cœur battait la chamade, j’avais peu de nausée… Tout était merveilleux. Et puis, vint le jour où au moyen de l’échographie, j’allais connaître mon petit poussin. J’avais si hâte de le voir.
Mon mari et moi sommes donc arrivés à ce rendez-vous, excités et remplis d’émotions toutes plus joyeuses les unes que les autres. La technicienne passe son engin sur mon ventre et je regarde mon mari amoureusement, tout heureuse de pouvoir partager ce moment privilégié avec lui. Elle nous dit qu’elle avait une nouvelle à nous annoncer. Je continue de sourire. Elle me lance : « Vous en avez deux. » Mon mari et moi-même sommes pris d’un fou rire tant nous trouvions la farce bonne. Et puis, elle renchérit : « Non, non, c’est vrai, vous en avez deux ». C’est alors qu’elle tourne l’écran de l’ordinateur afin que nous puissions voir de quoi elle parle… Deux têtes, quatre mains, quatre jambes… Elle continue sa description, mais je n’entends plus rien. Je deviens tout à coup sourde et je suis transportée dans un autre monde.
Je sens ma tête exploser. QUOI DES JUMEAUX! MAIS JE N’AI JAMAIS DEMANDÉ ÇA!!! Comment vais-je faire pour m’occuper des deux en même temps? Que vais-je faire quand ils se mettront à pleurer? Moi qui voulais allaiter… Seigneur, je devrai acheter deux sièges d’auto, deux berceaux, deux chaises hautes et une poussette double. Je suis totalement déconfite. Triste et honteuse d’être totalement incapable d’une réjouissance quelconque. Ma vie est finie. Je sens qu’on vient de verser une tonne de sable sur ma tête et j’étouffe. Littéralement, j’étouffe. Je veux crier à la terre entière mon désarroi. Je veux dire au peuple que je suis une bonne personne et que je ferai tout de même une bonne maman.
Rêves à l'eau?
Je n’en voulais pas deux. Pourquoi? Mais il me semble que c’est clair. Deux jeunes adultes, début trentaine, fonceurs, remplis de projets divers pour les 10 prochaines années. Un enfant me convenait parfaitement. Il ne dérangeait aucunement notre cheminement familial et individuel. Je pouvais continuer à faire toutes mes activités avec ou sans lui, puisque le faire garder serait un jeu d’enfant. Tout le monde se battrait pour l’avoir un ou deux soirs par semaine. Une rigolade je vous dis. Et puis un seul enfant m’aurait permis de m’adapter lentement à cette nouvelle vie de maman. Nous pourrions, ensuite, décider si oui ou nous nous agrandissons la famille. Mais là, je me voyais imposer d’être maman pour la première fois, et ce, de deux enfants. Je n’avais pas le choix. Aucune issue. Mes projets de carrière, mes projets scolaires, etc. Plus de moi. Tout s’envolait en fumée.
La technicienne cesse soudain de parler. L’examen est terminé. Je rentre dans la salle d’essayage de l’hôpital pour me rhabiller et je pleure doucement. Mon mari me demande ce que j’ai. Je ne sais pas. Je ne peux me prononcer. Cette nouvelle n’est ni bonne ni mauvaise. Je ne sais tout simplement pas quoi en faire. Je me sens submergée et remplie d’émotions parallèles et contradictoires. Égoïsme et culpabilité s’entremêlent dans ma tête. Amour et ingratitude se battent dans mon cœur. J’ai peur. Je resterai dans cet état de torpeur pendant quelques jours. Je n’en parle à personne de peur qu’ils ne perçoivent mon mécontentement face à cette grossesse que, pourtant, je convoitais grandement. Je ne veux surtout pas être jugée.
Le chemin vers l'acceptation
Je prends finalement le taureau par les cornes et je décide de faire face à la musique. Et puis? Si je suis enceinte de jumeaux, cela doit sûrement vouloir dire que je suis capable de m’en occuper. Tant de parents aimeraient probablement être dans notre situation. Ceux qui ne peuvent avoir d’enfants et sont obligés de recourir à des moyens extrêmes, tels : l’insémination artificielle, la prise d’hormones ou l’adoption. D'autres, moins fortunés, doivent faire preuve d’un courage sans limites pour prendre soin d’un enfant à déficience intellectuelle et/ou physique. J’en profite pour leur dire à quel point je les admire.
J’arrête donc de pleurnicher sur mon sort et je redeviens la fille positive d’antan. Je décide d’éliminer toute cette insécurité. Alors, commence le rallye de l’information.
Je me prépare et je m'informe
Je m’inscris tout d’abord à l’Association des parents de jumeaux et de triplés de la région de Montréal (APJTM). Une association composée de membres formidables et généreux qui partageront avec moi leurs expériences et leurs ressources personnelles. Trucs, conseils et témoignages véridiques me nourrissent en me faisant comprendre que je ne suis pas seule au monde. Échanger avec les autres parents me fait prendre conscience qu’il est normal d’effectuer un retrait personnel lorsqu’une telle annonce nous tombe sur la tête. Je réalise que la plupart des couples ayant eu des jumeaux étaient, tout comme nous, jeunes et inexpérimentés. Je les voyais aujourd’hui si heureux et épanouis. Si fiers de leur accomplissement. Ils s’évertuaient presque tous à dire qu’il ne faut pas se sous-estimer. De la patience, il y en aura pour deux. De l’amour, il y en aura pour deux. Du lait, il y en aura pour deux.
Je me mets à dévorer tous les livres de la bibliothèque concernant les jumeaux. Je contacte le CLSC du quartier pour en savoir plus sur l’aide dont je pourrai bénéficier. Mes enfants seront en santé et c’est tout ce qui compte. Peu à peu, une joie et une paix intérieure s’installent en moi et je deviens impatiente de voir mes bébés. Oui, mes bébés. Je souhaite de tout mon cœur que rien n’arrive à un des deux, car je suis prête.
Après 38 semaines de longue attente, nos rayons de soleil, Alexandre et Soraïya, virent le jour. Ils sont aujourd’hui âgés de 4 ans.
Claudyne Hilaire
Claudyne Hilaire, est une passionnée de l'écriture, de la langue, des arts sous toutes ses formes et bien sûr, de tout ce qui touche aux enfants. Fidèle lectrice de Mamanpourlavie.com depuis ses débuts, elle est très heureuse de faire partie de l’équipe et promet de vous entretenir de sujets tout aussi rigolos qu'instructifs. Maman de jumeaux, elle saura très certainement vous ressourcer par son énergie contagieuse.
Mai 2007