Le doute. C’est ce qui me reste de ma plus récente observation. Sur l’heure du lunch, et après les cours, je regardais les intervenantes scolaires travailler. Avec amour et professionnalisme, elles encadrent et guident les petits écoliers mais un spectre semble planer en permanence au-dessus de leur tête : celui du parent qui porte plainte ou qui, en ne lui accordant pas de crédit, vient saboter son autorité.
Chacune de ses interventions semblent crispées.
La parentocratie en milieu scolaire
La question s’est donc posée à moi, le plus naturellement possible. Serions-nous, en 2019, à l’ère de la Parentocartie en milieu scolaire? Je définie la Parentocratie comme un système où le parent serait tout à la fois juge et bourreau. Pour en avoir le cœur net, j’ai posé la questions à plusieurs éducatrices.
Toutes les intervenantes interrogées étaient d’accord sur un point : la Parentocratie existe vraiment. Cela dit, d’un milieu scolaire à l’autre, l’intensité du phénomène peut varier.
Si dans certains établissements les parents adoptent majoritairement une attitude compréhensive et appuient de manière cohérente les interventions du personnel dans d’autres, c’est plus complexe. « Pour ma part, cette théorie de la Parentocratie est en grande partie véridique explique Julia éducatrice depuis plus de 15 ans. La peur ne guide pas toutes mes actions et mes interventions, mais je suis toujours prête à justifier mes décisions. »
« La majorité des parents sont très ouverts et à l’écoute, réplique Martine éducatrice depuis 1996. Mais certains d’entre eux, par exemple, peuvent nous faire perdre notre crédibilité auprès de l’enfant. Ils remettent notre jugement en cause et voient notre travail comme du « gardiennage ». » De ce fait, ils n’ont pas peur de nous blâmer ou remettre en cause nos interventions.
Un phénomène récent
Tous les échos convergent vers un même point, la prentocaratie serait un phénomène nouveau qui aurait fait son apparition au cours des cinq dernières années. « Les parents ont maintenant le pouvoir de faire des plaintes et d’entacher notre dossier ou de faire des remous sur la place publique, explique Julia. Les enfants sont conscients de ça et certains brandissent même la menace de se plaindre à leurs parents, sachant très bien que nos interventions seront contredites. »
Des intervenantes livrées à elles-mêmes
Les intervenantes en milieu scolaire se sentent souvent seules pour affronter les critiques et les plaintes des parents. « Dans certaines écoles, la direction ne fait rien pour soutenir son personnel et donne souvent raison au parent sans chercher à comprendre ce qui est réellement arrivé. Comme pour acheter la paix, dit Diane. ».
Partenaires, pas ennemis
« C’est bizarre, poursuit Martine. Plusieurs parents ne semblent pas comprendre que nous sommes partenaires avec eux, pas contre eux. Nous, ce qu’on veut, c’est amener l’enfant à développer diverses compétences et à l’accompagner de manière positive dans son cheminement. Lorsqu’on intervient, soit il n’y a pas de suivi de la part du parent, soit c’est notre faute et non celle de l’enfant ».
Certains parents se déresponsabiliseraient-ils? « Peut-être, que oui, explique Jane. Ils préfèrent gérer les intervenants, plutôt que d’avoir à intervenir ou changer leur manière d’éduquer leur petit. »
La Parentocratie, une fatalité?
La Parentocratie est-elle une fatalité ou est-ce possible de la contrer? Selon Julia, ce pourrait être possible d’en freiner l’expansion. « Je ne saurais pas par où commencer, mais il faudrait clairement établir le rôle et le pouvoir de chacun. Il faudrait, dans un monde idéal, que tout le personnel et les parents soient bien informés des pouvoirs de chacun et qu’il y est des protocoles claires d’intervention. »
En somme, il serait difficile de dire que la Parentocratie est une phénomène généralisé et rependu dans l’ensemble des écoles. Par contre, nous sommes certainement face à un problème grandissant.
L’ouverture et la communication parent-intervenant semble être la clé pour réussir à vaincre la Parentocaratie. Par contre, rien de tout cela ne saurait se concrétiser sans l’indéfectible soutien de la direction et la bonne foi de tous et chacun.
*Les prénoms ont été modifiés pour garder l’anonymat de chacune des intervenantes.
Publication intitiale septembre 2018