Lettre à mon papa

Papa,

Il y a des hommes qui resteront immatures jusqu'à leur tout dernier souffle. Certains hommes sont trop égoïstes pour se soucier des besoins fondamentaux d'une toute petite fille. Quelques hommes n'auraient tout simplement jamais dû avoir d'enfant. Malheureusement pour moi, tu es de ces hommes-là papa.

Tu as eu deux filles, puis tu es parti. Ça ne t'as pas suffit. Tu en as eu deux autres ailleurs puis tu es encore parti en prenant soin de toutes nous laisser aux bons soins de nos mères respectives. Tu as aujourd'hui quatre belles filles. Toutes adultes maintenant. Toutes des étrangères à tes yeux. Connais-tu une seule de nous par coeur? J'ai terminé mes études. Je me suis acheté une maison. Es-tu fier de moi papa? Toi qui rêvais d'avoir un fils, tu es maintenant grand-père d'un adorable garçon. L'as-tu déjà vu? Il est tellement mignon... Au fait, tu seras grand-papa une deuxième fois, tu le savais?

Tu dis que ta plus grande fierté c'est de nous avoir vu naître. Que fais-tu de la fierté de voir grandir sa progéniture? Ta plus vieille à 26 ans, ta plus jeune en a maintenant 18. Ça ne te blesses pas de n'être jamais venu chercher nos bulletins? Ou de n'avoir jamais assisté à nos spectacles de ballet? Tu n'as jamais connu nos premiers amours et tu n'auras pas vu tes princesses le soir de leur graduation. Tu n'auras montré à conduire à personne, ni conduit aucune d'entre nous à l'hôtel de l'église.

Mais ne t'en fais pas papa. J'ai pleuré toutes les larmes de mon corps dans mon enfance et je n'ai plus de peine aujourd'hui. Seulement un vague chagrin teinté d'un soupçon de colère lorsque je pense à ton orgueil mal placé et à ta lâcheté insurmontable qui t'empêchent de prendre de mes nouvelles.

J'aimerais quand même te dire merci. Incroyable non? Merci parce que grâce à toi, j'ai appris très jeune les douleurs des absences et des fausses promesses et c'est un peu à cause de ça que je suis devenue une femme forte et solide aujourd'hui.

Un jour tu te réveilleras papa et il sera trop tard. Sur ton lit de mort, tu te rendras compte combien la vie est courte et tu regretteras d'avoir toute ta vie remis à demain ce qu'il aurait été si facile de faire hier. Peut-être que si un jour je juge que tu le mérite, je t'enverrai cette lettre. Peut-être aussi, fort possiblement, qu'elle terminera sa course au fond d'un tiroir avec des photos que tu ne verras pas et des souvenirs dont tu n'auras jamais fait parti.

On ne choisit pas nos parents. Par chance parce que je ne t'aurais probablement pas choisi comme père. Ni mes soeurs, j'en ai bien peur. Mais le destin a voulu que ce soit toi le mien. Et malgré tout, je sais que quelque part, tout au fond de moi, il y a une infime partie de mon coeur de petite fille qui t'aime...

Ta plus vieille.   

Yz4BeL : C'est vraiment triste. J'ai le pressentiment que c'est ce qui arrivera avec mon père. Qu'un jour, il apprendra qu'il est malade et il reviendra mais il sera trop tard. Je lui ai d'ailleurs déjà dit qu'un jour on apprendrait qu'il est décédé mais que personne n'aurait cru bon nous en aviser. C'est pas sa femme qui va le faire! Je me demande vraiment ce qui se passe dans la tête de personnes comme ça pour abandonner leurs enfants... Ils n'ont pas de moments de nostalgie? De périodes de questionnements à savoir ce qu'ils sont devenus? C'est quand même leur sang...  

Mon père est un peu comme ta mère alors. Il est manipulateur, beau-parleur et dépressif. Il revient vers nous quand il est dans une passe dépressive et que son psychologue lui dit qu'il devrait se rapprocher de ses filles. Lorsqu'il a besoin de nous, on doit être là, mais quand nous on a besoin de lui, il n'est plus là.

Quand je suis tombé enceinte, il m'a envoyé un courriel pour me féliciter et m'a demandé des nouvelles par courriel. Alors moi je lui ai dit que s'il voulait me téléphoner, je lui parlerais avec plaisir, mais que je n'écrirais aucune nouvelle. Alors avec sa tête de cochon, il boude et ne prend plus de mes nouvelles depuis le mois de janvier 2008. Quand j'ai su que j'aurais un garçon, j'ai eu mal. Parce que je savais que c'est ce que mon père à toujours voulu et que tout aurait peut-être été différent si une d'entre nous était né avec quelque chose entre les jambes. Je lui tiens tête parce que je veux qu'il fasse les premiers pas parce que je suis tannée de toujours les faire en bonne petite fille que je suis. Je me suis dit que je ne serais plus jamais malheureuse à cause de lui et j'y arrive assez bien puisqu'il n'a jamais été très présent de toute façon. Mais quand même, c'est plus fort que moi et je me dis que mon papa ne connais même pas mon fils. Et qu'il ne connait même pas l'existence du prochain.

Je sais que bien d'autres filles ont un père comme le mien et c'est pourquoi j'ai mis cette lettre en post. J'en ai une tonne d'autre comme celles-là dans mes courriels, qui attendent de lui être acheminé.  

C'est bien ce qui me rends triste des fois... C'est que je l'aime malgré le fait que visiblement lui s'en soucie peu...