C’est un fait : plusieurs femmes qui ne vivront pas l’accouchement idéal seront déçues, frustrées et, bien souvent, se sentiront coupables. Pourtant, un accouchement n’est pas quelque chose que l’on peut contrôler. Bien sûr, on peut se le souhaiter parfait. Mais sachant que certaines situations échappent à notre contrôle, pourquoi certaines femmes, qui ne réussissent pas à accoucher naturellement, perçoivent-elles leur épidurale ou leur césarienne comme un échec? Nous avons posé la question à Virginie Lanoix, infirmière clinicienne en obstétrique et auteure du livre Une naissance sans déceptions, un ouvrage qu’elle a écrit pour aider et simplifier la vie des futures mamans, mais aussi pour en réconforter et déculpabiliser quelques-unes.
La folie de la perfection
C’est un secret pour personne : nous vivons dans une société où la perfection et le surpassement de soi sont célébrés, et la maternité n’échappe pas à cette tendance. « Il existe, au Québec du moins, une espèce de pression sociale invisible flottant au-dessus de la tête des nouveaux parents », explique Virginie Lanoix. « Dès qu’elle devient enceinte, la femme se fait questionner, observer, surveiller, conseiller… de tous bords tous côtés. » On veut de la femme enceinte qu’elle fasse attention à elle, qu’elle mange bien, qu’elle soit active : qu’elle produise « un enfant parfait, dans des circonstances parfaites. » Et pour la plupart, l’accouchement parfait, c’est bien entendu l’accouchement naturel.
L’accouchement naturel à tout prix!
Depuis quelques années, on assiste à un retour du balancier et l’accouchement naturel est de plus en plus populaire. « Ça s’est probablement installé graduellement... Déjà la confiance envers les médecins a diminué chez certains groupes de femmes, suite aux accouchements “endormis” des années 50. On pratiquait alors une anesthésie générale au moment de la poussée et ces femmes se réveillaient avec leur bébé dans les bras. Certaines ont eu l’impression que leur lien d’attachement avec le bébé ne s’était pas fait de façon appropriée, car elles n’étaient pas conscientes au moment de la naissance. Tout de même, dans les années 60-70-80 au Québec, la plupart des femmes accouchaient à l’hôpital parce que c’était considéré, dans la société, comme étant plus sécuritaire. Mais plus l’ère de l’information, les médias, l’internet, les médias sociaux ont pris de l’ampleur, plus les femmes ont eu accès à de l’information : parfois bonne, parfois fausse. »
Et c’est exactement ce qui pose problème. « Les gens n’ayant pas de connaissances médicales peuvent confondre des informations pertinentes avec des faussetés. Surtout sur Internet, les blogues, les sites non officiels, les professionnels de la santé ne sont pas là pour démêler les choses. Il faut faire attention de ne pas croire tout ce qu’on lit : n’importe qui peut écrire n’importe quoi! »
L’accouchement parfait
La tendance est donc à l’accouchement naturel, sans intervention médicale, et dans les livres, on le compare souvent à une expérience quasi spirituelle avec bébé : l’expérience ultime, l’expérience d’une vie. On explique aux futures mamans comment naviguer sur les vagues des contractions et comment respirer. On ajoute que, lors de la poussée, la douleur change, et, en quelque sorte, elle fait même du bien : après tout, certaines femmes ont ressenti quelque chose s’apparentant à un orgasme, en accouchant! Bref, on se souhaite l’accouchement parfait, au court duquel nous serons en contrôle. Mais en pratique, les choses ne se passent pas toujours comme ça. « Pendant le travail, certaines femmes sont en colère, parce qu’elles ont trop mal, parce que leurs contractions ne ressemblent pas à ses fameuses “vagues”. » Or, dans leur plan de naissance, ces femmes avaient déjà spécifié : « Je ne veux absolument pas qu’on me parle de l’épidurale. Je désire un accouchement naturel sans médication. »
Plan de naissance
Virginie Lanoix en a d’ailleurs un peu contre l’expression « plan de naissance », qu’elle considère comme trop rigide. « Une grossesse et un accouchement ne peuvent pas être planifiés de la même manière qu’une journée de travail! » En effet, comme toutes les femmes sont différentes, chaque accouchement est différent et il est préférable d’être prête à toute éventualité. De vouloir planifier l’incontrôlable semble une belle promesse de déception, non? « Il faut se préparer à tout lors d’un accouchement. Mais surtout se préparer de façon réaliste. J’ai entendu tellement de femmes me dire : “Je suis tellement déçue, j’ai cru que je serais capable d’accoucher comme il était écrit dans tel livre. J’avais tout lu! J’étais prête! Je n’avais même pas envisagé d’avoir une césarienne! Bien sûr, j’avais lu là dessus, mais je me sentais capable.” Mais capable de quoi? Ce n’est pas une compétition, c’est une naissance! » Selon Virginie, il serait donc plus souhaitable d’avoir des attentes réalistes, et le « plan » de naissance devrait être écrit avec une certaine souplesse, de façon à laisser de la place à l’inattendu. Ceci éviterait à plusieurs de sortir de la maternité avec la triste sensation d’avoir échoué. « Ce qu’il faut avoir en tête en écrivant ce plan, c’est que les professionnels de la santé sont là pour que la naissance se déroule de façon sécuritaire avant tout. Le plan ne devrait pas être une liste de commandements absolus et inflexibles. Le problème n’est pas de vouloir un accouchement naturel, mais bien de ne pas être préparée mentalement aux autres possibilités en cas de complications. »
Le chapitre manquant
Il y a quelques années, l’auteure et journaliste Hillary Frank a interviewé Ina May Gaskin, « the mother of authentic midwifery ». Le livre de Ina May Gaskin est, en quelque sorte, un passage obligé pour la femme qui désire accoucher naturellement. Ceci dit, certaines femmes ayant étudié les écrits de la sage-femme, mais n’ayant pas réussi à accoucher naturellement, sont ressorties extrêmement amères de cette expérience en salle d’accouchement. Hillary Frank était du nombre, et elle explique, lors de cette excellente entrevue (en anglais), à quel point elle a eu l’impression d’avoir échoué. Elle n’avait pas réussi à accomplir quelque chose de purement naturel, que toutes les femmes devraient être en mesure de faire.
L’expérience qu’elle avait planifiée était donc bien en deçà de ses attentes, elle se sentait personnellement responsable de cet échec. En outre, elle en voulait à Ina May Gaskin, qui ne faisait pas mention de toutes ces autres femmes, dans son ouvrage : toutes ces femmes pour qui l’accouchement naturel n’était pas une possibilité. À la grande surprise de la journaliste, la prêtresse de l’accouchement naturel a avoué qu’il manquait peut-être un chapitre à son livre, puisque, en effet, toutes les femmes ne ressentaient pas la douleur de la même façon et toutes ne pouvaient pas accoucher naturellement. Plus que tout : celles-ci ne devaient absolument pas se sentir coupables, ou encore avoir l’impression d’avoir échoué.
Une naissance sans déceptions
Le livre de Virginie Lanoix, Une naissance sans déceptions, est une petite perle pour la future maman qui désire s’informer pour faire des choix éclairés. Sans porter de jugement, l’infirmière et auteure expose un regard nouveau, plus souple et libérateur sur la grossesse, l’accouchement et l’allaitement. Extrêmement honnête, l’ouvrage tend à redonner à chaque future maman son pouvoir de décision, et pourrait bien permettre à certaines femmes qui ont l’impression d’avoir raté leur accouchement ou leur allaitement de diminuer leur sentiment de culpabilité. Un must!
Une naissance sans déceptions, Virginie Lanoix, ISBN 9782981488206, 15 $