Prendre la décision de terminer la famille n’est pas aussi simple que l’on pourrait le croire. Le père et la mère peuvent être confrontés à un désir très fort d’avoir un autre enfant. De plus, les opinions divergentes au sein du couple sont choses courantes. L’un des deux parents souhaite ardemment un petit dernier, alors que pour l’autre, l’idée d’ajouter un membre à la famille est hors de question. L’histoire familiale de chacun des parents influence sans aucun doute le choix.
Il ne veut pas un autre bébé
On retrouve peu de littérature scientifique sur le deuil du dernier enfant. Celle existante fait état du vécu des mères. Les forums de discussion sont remplis de témoignages de mamans se questionnant sur la décision d’avoir ou non un autre bébé. Pourtant, les papas sont aussi confrontés au deuil du petit dernier.
Stéphane est père de trois enfants : deux garçons de 16 et 14 ans et une fille de 11 ans. Quand la question de terminer la famille s’est posée, il a dû grandement réfléchir.
À la suite de la naissance de la fillette, le couple de Stéphane est fragilisé. « Après le postpartum, ma conjointe a vécu plusieurs dépressions. L’arrivée du troisième ne nous a pas rapprochés. En tant que conjoint, mon rôle est de l’appuyer, mais il arrive toujours un moment donné où l’on se pose des questions sur l’avenir du couple, c’est difficile sur le mental ».
Aujourd’hui séparé d’avec la mère de ses enfants, Stéphane affirme ne pas regretter sa décision d’avoir terminé la famille, même s’il rêvait d’avoir une famille nombreuse. « J’avais toujours dit que je voulais cinq enfants. Moi et mon frère ne sommes pas très proches, ça me manque de ne pas avoir de frère et sœur » mentionne-t-il.
Respecter ses limites
Pour France, la situation est différente. À 45 ans, elle est mère d’un fils unique de 5 ans. Extrêmement fatiguée durant sa grossesse, France désire tout de même continuer de travailler. Elle ne révèle donc pas son épuisement à son médecin. Lorsque son garçon a un an, on lui diagnostique une dépression majeure. C’est à ce moment que le questionnement sur la venue d’un futur enfant s’est posée. « Quand j’ai eu mon diagnostic, l’évidence est criante. J’ai de la difficulté à prendre soin d’un seul enfant, je ne peux pas imaginer une grossesse dans ce contexte. J’avais déjà une grande crainte de ne pas donner le nécessaire à mon fils » affirme-t-elle.
Selon Marguerite Soulière, anthropologue et professeure à l’École de service social de l’Université d’Ottawa : « Plusieurs mères aujourd’hui vivent la maternité comme si c’était un dossier qu’elles doivent mener à terme. Comme dans le travail, elles veulent performer. Elles se doivent de suivre les recommandations des scientifiques: allaiter 6 mois par exemple. Elles veulent donner le meilleur à leurs enfants ».
Selon madame Soulière, « une grande culpabilité est mise sur les mères et les pères en lien avec les neurosciences, qui parlent avec autorité. Les avancées en neurosciences dictent des normes très strictes pour élever des enfants et vouloir se conformer à ces règles engendre beaucoup de pression chez les parents ».
Une étape demandante
Lorsque l’on questionne France sur sa décision, elle dit : « Ça me touche toujours de voir un bébé tout neuf ou une femme enceinte, mais honnêtement je pense que c’était vrai avant et ce sera toujours vrai. Par contre, j’ai tendance à rêver que ça pourrait être moi, mon bébé. La réalité me rattrape toujours rapidement ».
Rosalie* (nom fictif) a une fille de 6 ans, ainsi que deux garçons de 4 et 2 ans. Les grossesses ainsi que les accouchements se sont bien déroulés. Elle a vécu une grande ambivalence quand est venu le temps de de poursuivre ou non sa famille. « C’est comme si la tête et le cœur n’étaient pas sur la même longueur d’onde. J’aurais souhaité que cela se poursuivre, mais je savais que ce n’était pas rationnel pour plusieurs raisons », dit-elle.
Cette mère a vécu le choix de ne plus avoir d’enfant comme une série de deuils. Elle mentionne : « J’ai trouvé difficile les dernières fois. La dernière fois que j’allais allaité, que j’allais bercer mon bébé, la chambre de bébé, ses premières découvertes. Avec le temps je réalise que mes enfants, bien qu’ils grandissent, en vivront plein d’autres, je garde l’accent là-dessus ».
Les souhaits familiaux émanent de l’histoire de chaque parent et en fonction de sa trajectoire. Renoncer au petit dernier n’est pas toujours facile.
Écrit par Julie Pontbriand
Publication initiale septembre 2018