Santé

L'annonce d’un diagnostic chez son enfant

Quand la réalité bouleverse

On nous avait pourtant prédit un enfant en santé, un enfant « normal ». La grossesse s’était merveilleusement bien déroulée : pas d’anomalies détectées aux échographies, pas de signes avant-coureurs suspects, aucune anicroche. Juste un ventre un peu petit. Mais rien d’inquiétant. Et pourtant... Au jour J, le jour de la naissance de ce petit bout chou tant attendu, tout a basculé. À peine arrivé au monde, les médecins s’emparaient de notre bébé. « Madame, monsieur, il y a quelque chose d’anormal. » Une semaine plus tard, au milieu des soins intensifs, on nous larguait les premiers soupçons : « votre enfant a sûrement une anomalie génétique ». Trois mois plus tard, épuisés, fatigués, on assistait impuissants à une rencontre qui allait changer nos vies à jamais : « votre enfant a un syndrome génétique rare qui entraînera une déficience intellectuelle, de légère à sévère. On ne peut rien prédire ». À ce moment précis, un tremblement de terre n’aurait pas fait plus de dommages.

Apprendre que son enfant est handicapé, malade ou « différent » est une épreuve terrible pour tout parent. Souvent comparée à un sentiment de fin du monde ou de gouffre sans fond, l’annonce d’un diagnostic perturbe l’équilibre de toute une famille. Le temps s’arrête. Il y a un « avant » et un « après » : « L’attitude, le ton, le regard du médecin parlaient d’eux-mêmes. Avant même qu’il ne prononce un mot, je savais que notre vie venait de basculer ». Cette rencontre que parents et spécialistes souhaiteraient éviter joue un rôle déterminant dans l’avenir de l’enfant.

Du côté de celui qui informe

Les spécialistes, souvent les médecins, ont la lourde tâche d’annoncer la mauvaise nouvelle aux parents. Certains se cachent derrière des faux-fuyants, d’autres acceptent de vivre le drame aux côtés des parents. Par leur attitude, leurs gestes et leurs mots, les uns comme les autres laisseront une empreinte indélébile dans l’esprit des parents. Car avant même d’être vécu, le handicap prend naissance dans le regard et le comportement de ceux qui nous entourent, les spécialistes au premier plan. La condamnation est parfois sans appel. Comment croire dans les capacités de son enfant lorsque celui qui informe, celui qui « sait », prétend que cet enfant ne marchera probablement jamais ou parlera difficilement? Pour le parent sous le choc, une première représentation de son enfant se crée et perdure souvent très longtemps. Avant même de pouvoir apprivoiser la différence de son enfant, le parent quitte cette rencontre avec une perception – parfois biaisée – de ce que seront ses capacités, son avenir et sa place au sein de la société. Mais chaque enfant est unique et rempli de surprises. Heureusement, sans taire la réalité, de plus en plus de spécialistes se montrent sensibles à cet aspect et laissent une place à l’avenir, au devenir de l’enfant. « Lui seul pourra nous dire ce dont il est capable ». Que de mots rassurants!

Du côté du parent

Par cette tâche ingrate – faut-il le rappeler –, les spécialistes introduisent les parents dans un univers jusqu’ici inconnu. Un univers qui fait peur, qui dérange et qui assomme. Confrontés à l’annonce du diagnostic, ces parents vivront une rafale d’émotions : choc, déni, colère, tristesse, culpabilité et, éventuellement, apaisement voire acceptation. Il n’est pas rare que la colère des parents soit dirigée à l’endroit du corps médical; ceux par qui la mauvaise nouvelle arrive. Parfois aussi, la colère est orientée vers leur propre enfant. Cette émotion difficile à gérer génère un flot de culpabilité chez le parent qui voudrait tant accepter inconditionnellement et rapidement le handicap. Mais pour un temps, le handicap prend toute la place. À cause de lui, la réalité familiale est chamboulée, l’avenir professionnel est questionné et les projets sont repensés. Le parent n’arrive plus à voir son enfant, mais uniquement le handicap et les pertes qui en découlent. Il n’est plus Thomas, Jeanne ou Paul, mais un « TED1 », un « Prader-Willi 2 » ou un enfant « DMC 3 ». Certains ont peur de cet enfant, veulent s’en distancier ou, au contraire, le surprotéger. Chose certaine, tous ont besoin de soutien et d’écoute pour passer à travers chacune de ces étapes et apprendre à redécouvrir leur enfant. L’aide psychologique de l’équipe médicale ou des autres professionnels est, à cette étape, cruciale. Car, n’oublions pas, les parents changent eux aussi de statut et deviennent des « parents d’enfant handicapé ». Ils doivent dès lors réapprendre à vivre avec cette nouvelle épithète.

Du côté de l’enfant

Et l’enfant dans tout cela? Bien qu’il soit au cœur de la tragédie, il est trop souvent mis de côté au moment de l’annonce. Parfois absent de la rencontre ou ignoré, personne ne pense à vérifier sa compréhension des événements. Pourtant, dépendamment de son âge, l’enfant ressent le drame qui se joue, et ce, malgré la présence de limites cognitives, relationnelles ou langagières. Afin de diminuer l’anxiété que pourrait générer une telle rencontre chez l’enfant, il est bon de lui expliquer avec délicatesse la raison de tous ces émois. Qui plus est, sa présence lors de l’annonce du diagnostic oblige les professionnels à humaniser le handicap en mettant l’accent sur la personne et non pas uniquement sur la différence évoquée. Le risque est ainsi moins grand que les spécialistes discutent « d’un cas comme tant d’autres », mais parlent de « votre enfant ».

Enfin, une fois le choc passé, les parents rendront justice à leur enfant en le redécouvrant dans sa globalité : ses forces, ses intérêts, son tempérament, etc. Peu à peu, ils devront se détacher des pronostics annoncés et apprendre à observer leur enfant « comme un enfant ». Quels jeux aime-t-il? Dans quelles activités est-il bon? Qu’est-ce qui le rend heureux? Qu’est-ce qui le fait sourire? Par ce travail de reconstruction, de découverte de ce qu’est réellement l’autre, parents et enfants pourront se détacher du diktat du handicap. En plus de vivre des moments plus légers et heureux, ces occasions permettront à l’enfant de se dépasser, de croire en ses forces, mais surtout de se voir comme un être à part entière.

Pour une annonce du diagnostic un peu moins douloureuse
  • Se présenter à la rencontre avec son conjoint, mais aussi une personne « neutre » qui nous connaît bien (travailleur social, psychoéducateur, infirmière, etc.). Cette personne pourra non seulement nous soutenir durant l’annonce, mais en plus, valider avec nous les informations entendues lors de la rencontre.
  • Si possible, exiger que l’annonce se fasse dans un lieu intime, à l’abri des regards indiscrets (vous êtes en droit de refuser de vivre ce moment au milieu des soins intensifs, devant plusieurs infirmières, sur le coin d’un bureau ou dans une chambre d’hôpital partagée avec d’autres parents). 
  • Plus difficile à faire accepter par le corps médical : demander un ratio réduit de professionnels présents au moment de l’annonce. Le moment est déjà suffisamment difficile. Vous n’avez pas, en plus, à affronter le regard « évaluateur » de plusieurs personnes. Chaque chose en son temps. Il peut être possible de rencontrer le reste de l’équipe multidisciplinaire (psychologue, orthophoniste, ergothérapeute, psychoéducateur) dans un deuxième temps. En diminuant le nombre de gens présents, vous réduirez ainsi votre niveau d’anxiété et l’impression d’être assis devant un jury d’experts. De plus, cette façon de faire impose au professionnel un dialogue plus ouvert et respectueux de votre rythme.
  • S’assurer de repartir avec les coordonnées d’un professionnel impliqué dans le dossier à qui adresser vos éventuelles questions. Car une fois le choc passé, plusieurs questionnements risquent de surgir. Vous serez ainsi assuré de trouver des réponses à vos interrogations.
  • Enfin, vous êtes en droit d’espérer du spécialiste une attitude d’écoute, d’ouverture et une réelle disponibilité. Des situations où le praticien et son équipe de spécialistes annoncent le diagnostic en lisant intégralement leur rapport sans se soucier du rythme des parents sont inacceptables. La communication doit être vivante et laisser place aux réactions et questionnements que vous vivez. Personne ne devrait oublier que la manière d’annoncer les mauvaises nouvelles est aussi importante que le contenu du message lui-même.
Lectures inspirantes 
  • L’annonce du handicap, sous la direction de Patrick Ben Soussan, éditions érès, 2006, ISBN : 9782749205854, 27.95 $
  • Mon enfant est différent, de Marielle Lachenal, éditions Fayard, 2000, ISBN : 9782213605487, 29,95 $
  • Tricoter avec amour : Étude sur la vie de famille avec un enfant handicapé, Gouvernement du Québec, Conseil de la famille et de l’enfance, 2007, ISBN : 9782550512523
  • Je serai toujours là pour toi : des parents d’enfants handicapés témoignent, Solidarité de parents de personnes handicapées, Éditions du CHU Sainte-Justine, 2008, ISBN : 9782896191390, 19,95 $
Références

1 Trouble envahissant du développement

2 Anomalie génétique du chromosome 15 qui se caractérise par une hypotonie majeure durant la petite enfance et une hyperphagie à l’âge adulte avec risque d’obésité morbide. Entraîne souvent des troubles de l’apprentissage et des troubles de comportement (Orphanet, 2010)

3 Déficit moteur cérébral. Le DMC se caractérise par un désordre du mouvement et/ou de la posture attribuable à une lésion ou une anomalie permanente, mais non évolutive du cerveau (Centre de réadaptation Marie Enfant)